Le 1er novembre nous célébrons la Toussaint la fête de tous les saints, une fête inséparable du jour de prière pour les défunts, que l’Église commémore le 2 novembre. Mais pourquoi prier les morts ? Nous partageons un texte de l’abbé Alain René Arbez
Les catholiques et les orthodoxes prient pour le salut de leurs défunts. Les protestants s’y opposent…Certains évangéliques font même une confusion regrettable, car ils assimilent la prière pour les morts au fait de « prier les morts », s’appuyant sur un passage du Deutéronome qui interdisait à juste titre le spiritisme et l’occultisme. Prier pour les défunts n’a rien à voir avec ces comportements condamnés par l’Ecriture.
Quel regard à la fois historique et théologique peut-on porter sur ces postures de foi ?
En 1439, le concile de Florence définit de manière officielle ce qui était déjà cru dès les premiers temps apostoliques de l’Eglise primitive, à savoir qu’une étape de purification existe lorsque l’on quitte ce monde. C’est le sens de la communion des saints, le lien invisible entre les défunts déjà auprès de Dieu et les vivants qui poursuivent leur chemin terrestre.
Déjà, dans le judaïsme, le rituel de soukkot évoquait la solidarité entre des attitudes de croyants très différentes, puisque le bouquet végétal en mains des pèlerins en mouvement autour de l’autel se composait d’une branche de palme, d’un rameau de myrte, d’un rameau de saule et d’un cédrat : quatre espèces qui symbolisent le peuple de Dieu, car si certaines sont parfumées (les croyants qui ont bien agi), d’autres n’ont ni beauté ni odeur (ceux qui n’ont montré aucun mérite dans leur comportement). Ainsi, le parfum des uns se communique aux autres, dans une solidarité spirituelle de miséricorde révélatrice de l’amour de Dieu. La communion des saints dans la prière est dans la même logique : les mérites des uns viennent au secours des imperfections des autres.
L’objection principale à la prière pour les morts a été formulée dans le protestantisme. Ce qui surprend toutefois, ce que Luther déclare cependant en 1539 : « Pour moi qui crois fortement, j’oserais même dire, moi qui sais que l’étape de purification existe, je suis facile à persuader que l’Ecriture la mentionne. Ce que je sais de cette purification, c’est que les âmes en souffrent et peuvent être soulagées par nos œuvres et par nos prières ! » (Dispute de Liepsick). Dans le même sens, Calvin dit ceci en 1550 : « il y a plus de treize cents ans qu’il est d’usage de prier pour les morts. » (Institution religion chrétienne, III,5 §70).
Cette prière qui relie le ciel et la terre en faveur des défunts se fonde sur la parole du Christ qui réfutait l’affirmation sadducéenne selon laquelle ceux qui nous ont précédés n’existent plus et disparaissent dans le néant. Jésus dit : « Que les morts ressuscitent, Moïse lui-même l’exprime dans le récit du Buisson ardent, car il évoque le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants ! »
A la différence des protestants, les catholiques et les orthodoxes reconnaissent le Livre des Martyrs d’Israël comme inspiré. Ce texte vétérotestamentaire fait partie intégrante de la Septante, bible hébraïque traduite en grec à Alexandrie deux siècles avant l’ère chrétienne. On peut lire que Judas Macchabée fait une collecte pour l’envoyer à Jérusalem en vue d’une cérémonie d’expiation en faveur des soldats décédés. « S’il n’avait pas cru que les soldats tués dans la bataille dussent ressusciter, c’eût été chose inutile et vaine de prier pour des morts. Il fit ce sacrifice expiatoire des péchés afin qu’ils fussent délivrés de leurs péchés » (II Mac 12, 39).
Flavius Josèphe, l’historien du premier siècle mentionne que cette pratique de prière pour les morts existe de son temps, puisqu’il précise dans la Guerre des Juifs qu’on ne priera pas pour ceux qui se sont eux-mêmes privés de la vie. Ce qui veut dire que l’on prie pour les autres qui ont quitté ce monde dans des conditions habituelles de mort naturelle.
Il y a aussi d’importances traces historiques de cette prière dans la tradition patristique en ce qui concerne la prière pour les défunts.
Dans « Les actes de Paul et Thècle » (160) « Faconille dit dans un songe : mère tu prendras à ma place l’étrangère abandonnée, Thècle, afin qu’elle prie pour moi et que je passe dans le séjour des justes »
L’inscription d’Abercius (190) avec ce message aux survivants gravé sur son tombeau : « Que le frère qui entend et comprend comme moi ces réalités prie pour Abercius »
Chez Clément d’Alexandrie (autour de 200) : « Lorsque le fidèle est arrivé à se dépouiller des infirmités de l’âme, il passe dans un séjour plus heureux…La justice de Dieu est pleine de miséricorde, et sa miséricorde est pleine de justice ! »
La Passion de Félicité et Perpétue (203) Ces deux femmes chrétiennes deviennent martyrs à Carthage. Perpétue parle de son frère déjà mort en ces termes : « J’étais maintenant digne d’intercéder pour lui. Je commençai à faire beaucoup de prières et à crier vers le Seigneur »
Tertullien (200) évoque la prière pour les morts dans son ouvrage « La couronne du soldat ». Il écrit : « Nous faisons des oblations pour les défunts et les nativités des martyrs ». Que cette conviction, dit-il « repose sur une Ecriture ou sur la raison, peu importe, puisque la loi elle-même est fondée sur la raison »
Cyrille de Jérusalem (350) « Nous commémorons ceux qui se sont endormis avant nous, d’abord les patriarches, les prophètes, les apôtres, les martyrs, pour qu’à leurs prières et leur intercession Dieu reçoive notre demande. Ce sera un avantage pour les âmes en faveur desquelles la supplication est faite. Dieu est compatissant pour eux ainsi que pour nous-mêmes »
St Ambroise (360) « Donne Seigneur le repos à ton serviteur, celui que tu as préparé pour les saints.. Je ne vais pas l’oublier, jusqu’à ce que par mes prières et mes lamentations il soit admis à la sainte montagne de Dieu, à laquelle ses mérites l’appellent »
St Jean Chrysostome (380) « Ce n’est jamais inutilement que nous faisons dans les saints mystères mention de ceux qui nous ont quittés, et que nous approchons du sanctuaire à leur intention. Nous prions l’Agneau qui a enlevé le péché du monde en espérant qu’il adoucira leur situation, ainsi ce n’est pas en vain que le ministre à l’autel proclame : pour tous ceux qui se sont endormis dans le Christ ! » « Si les fils de Job ont été purifiés par le sacrifice de leur père, pourrions-nous douter que nos offrandes pour les défunts ne leur apportent la consolation ? » (Homélie 41)
« Aussi n’est-ce pas en vain que les apôtres nous ont laissé la coutume et la loi : d’après eux, dans nos saints mystères il doit être fait mémoire des défunts. Comment Dieu ne serait-il pas sensible aux prières que nous adressons en leur faveur ? » (Homélie III, Philippiens)
Constitutions apostoliques (400) recueil de doctrine réactualisée mais remontant à Clément de Rome (2ème s.) inspiré lui-même de la période apostolique. « Prions pour nos frères qui reposent dans le Christ. Dieu peut pardonner tous les péchés, être compatissant, offrant comme destinée le pays des saints envoyés dans le sein d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, avec tous ceux qui ont fait sa volonté depuis les débuts du monde »
St Augustin (400) « Les cérémonies funèbres avec recherche somptueuse d’un mausolée ne sera d’aucune ressource pour les défunts, même si cela offre consolation aux vivants. Ce qui est indubitable, c’est que les prières de l’Eglise, le saint sacrifice, les aumônes, leur apporteront du soulagement et ils seront traités plus miséricordieusement qu’ils ne l’avaient mérité ! » (De la foi et des œuvres)
« Il est incontestable que les âmes des morts sont réconfortées par la piété des vivants, lorsqu’on offre pour elles le sacrifice du médiateur et qu’on multiplie les aumônes dans l’Eglise » (traité foi, espérance et charité)
Au 5ème siècle, lorsque les Eglises copte et nestorienne se séparent de Rome, on constate qu’elles pratiquent la prière pour les morts depuis les débuts de l’Eglise indivise.
St Isidore de Séville (590) « Il est certain que si l’Eglise ne croyait pas que les fidèles puissent obtenir le pardon de leurs péchés elle ne ferait pas des aumônes pour réconforter leurs âmes et elle n’offrirait pas à Dieu le sacrifice pour eux » (Offices divins 415)
En 998, St Odilon, père Abbé de Cluny instaure la commémoration des défunts le 2 novembre.
St François d’Assise (1200) pratique le « Requiem aeternam », « donne-lui Seigneur, le repos éternel »
Comment ne pas reprendre en conclusion la phrase de Paul dans l’épître aux Colossiens (Col 1, 24) : « Je me réjouis maintenant dans mes souffrances pour vous. Et ce qui manque aux souffrances du Christ, je l’achève en ma chair, pour son corps qui est l’Eglise »
Dès les premiers temps de l’Eglise, comme d’ailleurs auparavant en Israël, les croyants ont prié pour les défunts en les considérant comme des vivants auprès de Dieu, ou comme des âmes en voie de purification. Nous prions pour eux et eux prient pour nous, car au-delà des frontières de la mort il y a un lien entre eux et nous à travers le Christ ressuscité, seul médiateur entre Dieu et les hommes. Les saints et les martyrs veillent sur nous, nous pouvons les invoquer car ils sont des reflets puissants de la miséricorde de Dieu. Nous croyons en un seul Dieu, mais pas en un Dieu seul.
« La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ! » (St Irénée)
Abbé Alain René Arbez