La prière est essentielle à la vie des chrétiens et on lui découvre même des vertus favorisant le bien-être. Bien que « concurrencée » sur ce terrain par des formes de méditation areligieuse, la prière semble mieux résister à l’érosion de la pratique religieuse que l’on observe dans nos sociétés. En Suisse plus de la moitié des catholiques prient régulièrement, lors de célébrations, en groupe ou seuls.
Selon les statistiques * près d’un tiers des catholiques (30 %) déclarent prier tous les jours ou presque, et plus de 25 % prient entre « au moins une fois par semaine et une fois par mois ».
Ces pourcentages sont nettement supérieurs à ceux relatifs à la participation aux célébrations : moins de 15 % des catholiques se rendent à la messe chaque semaine, 41 % vont à l’église entre une et cinq fois par année, la plupart du temps dans un but social, à l’occasion d’un mariage ou d’un enterrement. Comment comprendre ces statistiques ? Nous en avons parlé avec Pierre-Yves Brandt, Professeur de psychologie de la religion à l’Université de Lausanne et directeur de l’Institut de sciences sociales des religions/Observatoire des religions en Suisse (ISSR/ORS),
Prof. Pierre-Yves BRANDT : La participation aux services religieux collectifs est en constante baisse. La raison est une perte de crédit dans l’opinion publique des institutions religieuses traditionnelles. La prière comme rite personnel est souvent dissociée de la fréquentation des célébrations, d’une paroisse, d’une adhésion à une Institution.
Elle résiste donc mieux à l’érosion. La prière personnelle est aussi une forme de spiritualité qui correspond mieux à la société contemporaine. Elle coïncide davantage à la conception actuelle de l’être humain qui souligne l’unicité de chaque individu, valorise le droit à la différence et l’individu par rapport au collectif.
Oui. Nous sommes dans une société qui a admis la pluralité des formes de religiosité.
Chacun peut s’autodéterminer. Des individus vont choisir de s’identifier à une institution religieuse, d’autres sont eux-mêmes leur propre autorité et décident de leur pratique.
Ils sont leur propre pape ! Parmi ceux qui prient, les profils sont très variés à l’instar des pratiques de la prière. Certains prient à la Basilique Notre-Dame en dehors des horaires des messes et participent régulièrement aux célébrations. D’autres ne vont pas ou plus à la messe, mais fréquentent les lieux de culte pour prier, car ils les trouvent inspirants.
Certains prient à la maison avant de s’endormir, d’autres dans la nature ou durant leurs activités quotidiennes.
Le changement a commencé avec les personnes nées après la Deuxième Guerre mondiale. Devenues adultes, elles ont remis en question l’État, la police, les parents et l’Église. Mon collègue Jörg Stolz, de l’Institut de sciences sociales des religions (Université de Lausanne), a conduit une étude qui révèle qu’aujourd’hui à peine 18 % de la population en Suisse s’identifie à une institution religieuse. Le pourcentage parmi les catholiques est un peu plus élevé (23 %). Mais le 66 % des personnes qui se disent de confession catholique sont aujourd’hui « distanciées » de l’Église : la religion n’est pas forcément absente de leur vie, mais elle n’y joue pas un rôle majeur. Ils pensent en général que c’est plutôt bien que les Églises existent, mais qu’ils n’en ont pas besoin pour le moment.
Ces personnes ont gardé certaines valeurs et certaines pratiques religieuses. La prière peut être présente dans leur vie, sous des formes très diverses que les réponses au sondage ne laissent pas apparaître. Parmi elles, il y a par exemple cette femme âgée en EMS, qui est allée à la messe toute sa vie. Aujourd’hui elle ne veut plus y aller, cela l’embête.
En revanche, elle aime bien parler avec l’aumônier, elle a des questions spirituelles et elle récite une prière du soir.
Un autre exemple est cet homme de 45 ans qui, enfant, n’a pas vraiment connu de pratique religieuse. Néanmoins, il n’est pas découplé d’un rapport avec une réalité transcendante. Il cherche un contact avec Dieu dans le silence et la solitude, par exemple lors de la pratique d’un sport individuel. Un troisième profil est celui d’une mère qui croit en Dieu, mais qui ne veut pas imposer aux autres membres de la famille la contrainte de sa participation à la messe du dimanche. Elle a toutefois une pratique religieuse par la prière. Durant ses activités quotidiennes, elle prie pour la mère malade ou pour confier son enfant qui a des soucis à Dieu ou à Marie.
Il y a deux aspects majeurs dans la prière. Dans la foi chrétienne, la prière est une relation, une parole adressée à quelqu’un.
Une conversation entre un moi humain et un Vous/Tu transcendant auquel on s’adresse ou que l’on écoute. Il y a une dimension d’attachement, on cherche une proximité intérieure avec une présence. Quand vous priez, vous avez la conscience que vous n’êtes pas seul. Cela donne une sécurité et c’est apaisant. La prière personnelle est une composante de la foi catholique. Et la prière solitaire rejoint l’expérience de prière des « Pères du désert » qui luttaient avec leurs pensées. C’est une forme de spiritualité qui est transposable à notre société. Car nous vivons de plus en plus seuls, de sorte qu’une bonne partie de nos contemporains sont comme des ermites en ville.
L’autre aspect de la prière est plus rituel, avec les prières traditionnelles que l’on a apprises, le Notre Père, Je vous salue Marie ou la Prière à l’ange gardien. Ce sont des prières que l’on récite à certains moments et qui permettent aux personnes de se mettre en lien avec la tradition ou avec la communauté. C’est rassurant.
La prière se distingue de la méditation d’inspiration hindoue ou bouddhiste, car elle est relation, avec un être transcendant. La méditation ne suppose ni un être supérieur ni une relation. Elle est une technique qui passe par un contrôle corporel, une posture, une respiration et cela pour modifier l’état intérieur de l’individu. Il y a des personnes qui utilisent la méditation pour se préparer à la prière.
Pierre-Yves Brandt
Pierre-Yves Brandt est né à Bienne (Suisse). Il est docteur en psychologie (1988) et en théologie (2001) de l’Université de Genève.
Nommé en 1999 professeur associé de psychologie de la religion à l’Université de Lausanne. Il a été promu au rang de professeur ordinaire en 2009. Il a été doyen de la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne de 2006 à 2010. Le professeur Brandt est aussi, depuis 2001, président de la Fondation des Archives Jean Piaget. Il donne un cours d’introduction à la psychologie de la religion aux Universités de Lausanne et Genève.