Le professeur Didier Pittet est sur tous les fronts depuis le début de la pandémie du coronavirus. Connu pour avoir participé à la mise au point de la solution désinfectante hydroalcoolique et pour l’avoir mise à disposition de l’OMS libre de brevet, il dirige notamment le service de prévention et de contrôle de l’infection aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Il a accepté de répondre à nos questions sur la pandémie Covid 19, la solidarité, sa foi et l’Eglise.
Pour le professeur Didier Pittet, la crise sanitaire que nous traversons est avant tout une grande leçon sur la valeur de la solidarité et les dégâts que cause l’individualisme. Il en a fait le constat au niveau personnel, à l’hôpital, dans la gestion mondiale de la pandémie et dans les comportements individuels et collectifs. Le “chacun pour soi” ne fonctionne pas pour contrer une pandémie, dit-il en substance, car on ne peut vaincre le virus sans solidarité entre soignants, entre citoyens, entre secteur public et privé et entre pays. « On ne sortira de cette crise que tous ensemble », clame-t-il. Cette même solidarité sera encore un élément indispensable pour soigner les blessures des crises économique et sociale engendrées par la pandémie, s’avance-t-il. Et de faire l’hypothèse d’un impôt de solidarité, un contrat social entre gagnants et perdants de la crise.
Nous avons appris que ce monde que l’on croyait moderne et fort est fragile, que la gestion de crise se prépare et découvert les failles d’un fonctionnement à flux tendu qui ne supporte pas les imprévus. Nous avons vu que nous pouvions manquer de personnel dans les hôpitaux, de masques, de solution désinfectante. Au niveau global, nous avons vu les limites de l’Organisation mondiale de la santé, qui est indispensable, mais qui est dotée d’une structure ancienne, d’un budget limité et qui est trop dépendante des pays membres. Pour les vaccins nous avons vu des pays jouer en solo. Le monde a aussi manqué de solidarité, de générosité et de civisme. Nous avons aussi découvert l’étendue de la précarité avec des personnes faisant la queue pour recevoir un cabas de biens alimentaires d’une valeur de 20 francs. Trop de personnes ont basculé d’un jour à l’autre dans la pauvreté. C’est une alerte. La population a applaudi les soignants pour les remercier de leur combat contre l’épidémie, puis d’autres héros du quotidien comme les caissières et le personnel d’autres métiers “essentiels” mais mal reconnus. Ces enseignements ne doivent pas rester sans suite. D’autre part, nous avons des secteurs qui ont enregistré d’énormes profits et d’autres des pertes immenses. Je me demande s’il ne faudrait pas envisager, dans ces circonstances exceptionnelles, un impôt solidaire. Je ne suis pas expert dans ce domaine, mais la crise sociale et économique ne va pas disparaître de sitôt.
Effectivement et les exemples sont nombreux. L’Europe, très discutée, a ainsi mis beaucoup d’argent pour le développement rapide des vaccins et a été très solidaire en matière de vaccination. A plusieurs niveaux, la mobilisation a été présente. Une task-force public-privé a vu le jour à Genève pour l’approvisionnement en matériel sanitaire du canton et des HUG. Moi-même j’ai été soutenu par la solidarité de mon entourage, de mon équipe, de mon adjoint, de ma famille, de mes amis, ainsi que de nombreuses personnes qui m’étaient inconnues auparavant.
L’excès d’individualisme est en bonne partie responsable de ce qui nous arrive. Cette pandémie continue car trop de personnes ne respectent pas les consignes. Si les gens respectent les distances, l’hygiène des mains, portent le masque lorsque nécessaire, se font tester au moindre doute et observent la quarantaine quand elle est prescrite, elles empêchent la propagation du virus. Il faut arrêter de dire que le virus circule, ce sont les gens qui circulent et se transmettent le virus. Je prends aussi l’exemple de la vaccination. Le vaccin protège la personne vaccinée, mais aussi les autres. Se faire vacciner est un geste solidaire.
Je crois que les mêmes protocoles sanitaires en vigueur pour les offices religieux pourraient s’appliquer aux théâtres ou aux cinémas. Toutefois, je crois que le problème se pose sur ce que font les personnes avant et après le cinéma ! D’autre part, le croyant a besoin de se ressourcer dans sa religion, c’est essentiel. Certes, nous nous ressourçons tous aussi dans la culture, mais je crois qu’être privée de cinémas ne touche pas la personne aussi profondément qu’un croyant privé de la pratique de la foi. Bien sûr, il y a la prière personnelle ou en famille, mais c’est différent. J’ai participé à des obsèques récemment. Les consignes sanitaires empêchaient une certaine convivialité, mais nous avons eu la possibilité de prendre congé de la personne, d’entourer la famille, de célébrer ensemble. Le protocole sanitaire était respecté contrairement à ce que j’observe dans d’autres endroits. Ceci-dit, je me réjouis que la culture puisse reprendre ses activités et j’ai même milité dans ce sens.
J’ai grandi dans un milieu catholique, avec une famille pratiquante. Ma mère était catéchiste. J’ai été enfant de cœur et j’ai participé avec mes parents à la naissance de la colonie de La Fouly (VS), où un mécène de notre paroisse du Christ-Roi avait racheté́ un ancien hôtel pour en faire une colonie pour enfants. Le bâtiment a été retapé par les bénévoles de la paroisse, dont bien évidemment mon papa électricien. Chaque été, lors des vacances d’octobre et de Pâques j’étais là-bas. Plus tard, je suis devenu moniteur de la colonie et enfin administrateur avec l’abbé Willy Vogelsanger, mais aussi le curé Eugène Petite. J’ai été aussi membre puis président du conseil de paroisse. J’ai effectivement pensé à devenir prêtre. Mon parrain a eu une vocation tardive pour le sacerdoce. Il était à Tamié (France) et je m’y suis rendu à plusieurs reprises. J’aimais beaucoup cette ambiance et j’ai continué à lui rendre visite par la suite quand il est devenu bénédictin au Bouveret. Puis il a choisi la condition d’ermite à Longeborgne. Au moment du cycle j’ai pensé entrer au petit séminaire pour devenir prêtre et même plus tard j’y ai pensé très fort. Mais je suis revenu à ma première vocation, la médecine.
’ai la foi, je prie, je vais moins souvent à la messe. Un jour j’aimerais beaucoup rencontrer le pape François, un homme extraordinaire. Ses messes retransmises à la télévision ont connu une audience extraordinaire et ont été un vrai soutien pour les personnes, durant les vagues successives du Covid.
Les aumôniers sont des amis ! L’abbé Giovanni Fognini, je le connais depuis longtemps. C’est lui qui a célébré les obsèques de mon père. La présence des aumôniers, de toutes les communautés religieuses, est vitale pour la prise en charge des patients et des proches. Je ne peux pas imaginer un hôpital sans aumôniers. A l’hôpital nous faisons tout ce que nous pouvons pour soutenir d’un point de vue médical la qualité de vie des malades, quand nous ne pouvons plus rien pour la quantité. Dans ces circonstances l’accompagnement spirituel, l’empathie, les capacités relationnelles des aumôniers peuvent apporter un plus, mobiliser une force intérieure, apporter un profond apaisement. J’en ai été témoin moi-même pour de nombreux patients.
Paru dans le Courrier pastoral – mai 2021
Crédit image du Prof. Didier Pittet ©Demir Sönmez
Image de couverture©HUG
Le Président de la Confédération, Guy Parmelin a souhaité vendredi 5 mars un temps de recueillement en hommage aux victimes du COVID-19 en Suisse. Les HUG se sont associés à cet hommage national, marqué par une minute de silence de 11h59 à midi. Les aumôniers des HUG ont accueilli les patients, visiteurs et collaborateurs, devant l’entrée principale de l’hôpital et sur les autres sites des HUG pour un temps de partage, d’échange et de solidarité.
*Entretien réalisé début avril