A partir du récit de Luc sur l’infirme de la Belle Porte (Actes 3, 1-26), l’abbé Alain René Arbez nous livre une réflexion sur le vrai miracle qui peut conduire à la joie de vivre.
« A l’heure de la prière de l’après-midi, Pierre et Jean montaient au Temple. On y amenait un homme qui était infirme de naissance. On l’installait chaque jour à la Belle Porte pour qu’il demande l’aumône à ceux qui allaient au Temple.
Voyant arriver Pierre et Jean, il leur demanda l’aumône. Alors Pierre se tournant vers lui, ainsi que Jean, lui demanda : regarde-nous ! L’homme s’attendait à recevoir une pièce. Pierre lui dit : je n’ai ni or ni argent, mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus de Nazareth, le Messie, lève-toi et marche ! Le prenant par la main droite, Pierre le releva, à l’instant même, ses pieds et ses chevilles devinrent solides. Tout le peuple le vit marcher et louer Dieu… » (Actes 3, 1-26)
Ce remarquable récit de Luc a beaucoup de choses à nous dire… Le miracle n’est peut-être pas celui qu’on imaginait ! Voici un homme qui depuis sa naissance est dépendant des autres en raison de son infirmité. Chaque jour, on le dépose à l’entrée du Temple et il tend la main pour survivre. Surtout, il n’a pas la possibilité d’entrer dans le sanctuaire et doit se tenir passivement à la « Belle Porte ». Certes, si la porte est belle, elle reste en tout cas une porte qu’il ne peut franchir. Serait-ce l’image symbolique de beaucoup de nos contemporains, qui restent statiquement au seuil de la vie spirituelle, sans pouvoir en recueillir les bienfaits ? Leur état de conscience restreint les contraignant à survivre sans perspectives d’avenir…
Le récit nous dit que Pierre et Jean, deux apôtres animés par la bonne nouvelle de la résurrection de Jésus, arrivent, et, en voyant cet homme, ils ne se contentent pas d’un simple geste d’aumône envers lui. De manière automatique, l’homme attend une ou deux pièces, mais Pierre insiste : « tourne ton regard vers nous ! »
C’est en effet par l’échange de regard que la situation va basculer. C’est une vraie rencontre de personne à personne qui modifie la donne. Pierre lui explique qu’il n’a ni or ni argent à partager, mais qu’il a beaucoup mieux à lui transmettre : la force de vie qui émane de Jésus ressuscité ! C’est dans cet esprit qu’il l’interpelle : « lève-toi et marche ! » A noter que le mot hébreu pour dire se lever est le même que pour dire ressusciter. Quant à « Marcher », dans la tradition biblique, c’est plus que de la mobilité, c’est l’attitude d’une vie assumée, en lien avec la Parole de Dieu, une vie humaine en voie d’accomplissement dans l’alliance.
Alors tout change à ce moment-là. L’homme prisonnier de sa déficience va devenir capable d’autonomie. Il ne sera plus enfermé dans la routine de la dépendance. Intérieurement renouvelé et fortifié par la puissance de l’Esprit du Christ, il franchit le seuil et passe la Porte du Temple. Dans une étape nouvelle qui ressemble au baptême, il entre dans le sanctuaire et parvenu à l’autel de Dieu, il exprime sa louange à Dieu.
Le détail du texte est très parlant : le prenant « par la main droite », Pierre le relève…La « main droite » a une résonance particulière dans le langage biblique : cette précision correspond à l’activité réussie d’un être humain. Les psaumes répètent que la droite de Dieu réalise des merveilles dans la vie des hommes. Donc en lui donnant la force du Christ, Pierre sollicite le meilleur de cet homme, lui restitue sa dignité, et transforme son morne futur en un avenir personnalisé.
Autre mention révélatrice : à l’instant même, « ses pieds et ses chevilles deviennent solides… » Ce n’est pas là l’action d’un physiothérapeute ou d’un rebouteux sur un membre souffrant, c’est la restitution, en faveur de cet homme, de sa capacité personnelle à se tenir debout et à avancer un pas devant l’autre. « Oui, je me lèverai, et j’irai vers mon Père ! » Le pied (comme dans l’épisode du lavement des pieds) c’est l’image de la démarche humaine, avec la liberté d’aller et venir et d’orienter sa vie. La cheville, c’est l’articulation indispensable qui permet de se mouvoir de manière sûre, sans fléchir.
La question ici esquissée est fondamentalement celle d’une renaissance. Il s’agit de pouvoir mener sa vie en fonction de valeurs spirituelles fiables et d’une sagesse qui permet de devenir soi-même.
En recevant intérieurement la force de résurrection du Christ transmise par l’apôtre Pierre à l’infirme de la Belle Porte, l’articulation restaurée acquiert cette dimension essentielle ! Il se voit ainsi réintégré dans le pouvoir d’assumer les fonctions de son être (corps, âme, esprit) en harmonie avec la Parole de Dieu.
C’est alors que la parole biblique, expression de sagesse, devient comme le tendon et le ligament qui relie l’articulation au muscle, rendant possible ce dynamisme qui permet de gérer la situation en se projetant vers le meilleur de soi-même. L’ancien paralysé aux pieds et aux chevilles régénérés peut maintenant sortir de son inertie comme Lazare sortant de son tombeau : il a la capacité d’harmoniser ses pensées et ses actes, ses réflexions et ses émotions, il rend cohérente sa vie personnelle et sa vie sociale. Luc mentionne qu’il y a des témoins de ce changement radical : « tout le peuple le vit marcher et louer Dieu ».
Ce récit décrit en termes imagés la situation d’hommes et de femmes de tout temps qui errent sans perspective et sans moyen de quitter ce cercle infernal qui les épuise. Immobilisés par l’absence de spiritualité, ils sont dépendants de la situation environnante et restent repliés sur eux-mêmes, sans pouvoir franchir l’étape libératrice.
Seul le regard bienveillant de témoins du Christ, comme Pierre envers l’infirme de la Belle Porte, pourra leur rendre la force intérieure qui relève et qui donne l’énergie d’aller de l’avant sur un chemin de vie authentique.
De la même manière que dans le récit de Luc, un geste, une parole, une attention, donnés de la part de Dieu, pourront devenir la délivrance providentielle et décisive qui permet à ces hommes et à ces femmes d’activer une nouvelle articulation de leurs attentes avec la volonté d’assumer leur vie.
Cette force surnaturelle les libère de tout désenchantement et les fait accéder à la joie de vivre les vraies valeurs, en abandonnant au passé les faux semblants éphémères.
Abbé Alain René Arbez, mai 2021
Crédit image: Saint Pierre et Saint Jean guérissant le boiteux », par Nicolas Poussin – Wikimedia Commons