L’Académie pontificale pour la Vie livre une réflexion sur les bouleversements induits par la pandémie de Covid-19.
«La pandémie nous a fourni le spectacle de rues vides et de villes spectrales, de la proximité humaine blessée, de l’éloignement physique », affirme la note « Humana comunitas à l’ère de la pandémie: méditations intempestives sur la renaissance de la vie », publiée ces jours par l’Académie pontificale pour la Vie. Le document – écrit lé site Vatican News – apporte une lecture spirituelle des bouleversements provoqués par la pandémie de Covid-19 dans la plupart des sociétés humaines.
«La Covid-19 a apporté la désolation au monde», est-il rappelé d’emblée, au sujet d’un phénomène qui a déjà fait plus de 600 000 morts et dont les futurs développements restent encore incertains et angoissants. «Que faire de tout ceci? Comment notre halte nous empêchera-t-elle de tomber dans l’inertie de la complaisance, ou pire, de la connivence dans la résignation?», s’interrogent les rédacteurs de cette note, qui invitent à prendre un «recul réfléchi» qui ne correspond pas à «l’inaction», mais à «une pensée qui pourrait se transformer en remerciement pour la vie donnée, et donc un passage vers la renaissance de la vie».
La pandémie de Covid-19 « nous a privés de l’exubérance des étreintes, de la gentillesse des poignées de main, de l’affection des baisers, et elle a transformé les relations en interactions effrayantes entre étrangers et en un échange neutre d’individualités sans visage, enveloppées dans l’anonymat des équipements de protection. Les limitations des contacts sociaux sont effrayantes ; elles peuvent mener à des situations d’isolement, de désespoir, de colère et d’abus. Pour les personnes âgées, qui sont dans les dernières étapes de leur vie, la souffrance a été encore plus prononcée, car la détresse physique s’est couplée d’une diminution de la qualité de vie et du manque de visites de la part de leur famille et de leurs amis.»
Dans une partie intitulée «La vie prise, la vie donnée : la leçon de la fragilité», l’Académie s’interroge aussi sur le caractère anxiogène du langage guerrier utilisé dans le traitement de cette actualité. «Les métaphores dominantes qui envahissent à présent notre langage ordinaire mettent l’accent sur l’hostilité et sur un sentiment envahissant de menace : les encouragements répétés à « combattre » le virus, les communiqués de presse qui sonnent comme des « bulletins de guerre », les mises à jour quotidiennes sur le nombre de personnes infectées» donnent une impression de champ de bataille.
Dans les hôpitaux, mais aussi dans les prisons, dans les camps de réfugiés ou encore dans les maisons de retraite, de nombreux décès ont pris de court le personnel et l’entourage des victimes. «Nous avons été témoins du visage le plus tragique de la mort : certains ont connu la solitude de la séparation aussi bien physique que spirituelle de tous, laissant leurs familles impuissantes, incapables de leur dire au revoir, même pour leur fournir cette simple piété de base avec un enterrement approprié.»
Mais au-delà de ces situations dramatiques et traumatisantes, cette pandémie offre aussi une chance de revenir à l’essentiel pour saisir la pleine valeur de la vie. «L’évidence douloureuse de la fragilité de la vie peut aussi renouveler notre conscience de sa nature donnée. En revenant à la vie, après avoir savouré le fruit ambivalent de sa contingence, ne serons-nous pas plus sages? Ne serons-nous pas plus reconnaissants et moins arrogants? »
«Nous avons été témoins du visage le plus tragique de la mort :
certains ont connu la solitude de la séparation aussi bien physique que spirituelle de tous, laissant leurs familles impuissantes, incapables de leur dire au revoir,
même pour leur fournir cette simple piété de base avec un enterrement approprié.»
Dans la lignée de l’encyclique du Pape François Laudato Si’, l’Académie pour la Vie remarque que «l’épidémie de Covid-19 a beaucoup à voir avec notre déprédation de la terre et le pillage de sa valeur intrinsèque. C’est un symptôme du malaise de notre terre et de notre incapacité à nous en soucier ; plus encore, un signe de notre propre malaise spirituel». La réflexion proposée est très concrète. «Considérons la chaîne des liens qui relient les phénomènes suivants : la déforestation croissante qui pousse les animaux sauvages à proximité de l’habitat humain. Les virus hébergés par les animaux sont donc transmis aux humains, en exacerbant ainsi la réalité des zoonoses, un phénomène bien connu des scientifiques comme vecteur de nombreuses maladies.
La demande exagérée de viande dans les pays les plus développés du monde donne lieu à d’énormes complexes industriels d’élevage et d’exploitation animale. Il est facile de voir comment ces interactions pourraient en fin de compte provoquer la propagation d’un virus à travers le transport international, la mobilité de masse des personnes, les voyages d’affaires, le tourisme, etc… »
Une prise de conscience s’impose donc, et elle devra avoir des conséquences pratiques mais aussi spirituelles. Nous devons «reconnaître que nous habitons sur cette terre en tant que gardiens et non pas en tant que maîtres et seigneurs. Tout nous a été donné, mais notre souveraineté n’est que fournie et elle n’est pas absolue. Consciente de son origine, elle porte le fardeau de la finitude et la marque de la vulnérabilité.»
Cette vulnérabilité assumée peut aussi bouleverser notre relation aux autres dans un sens plus positif et chargé de compassion. «Notre condition est une liberté blessée. Nous pourrions la rejeter comme une malédiction, une situation provisoire qui pourrait bientôt être surmontée. Ou bien, nous pouvons apprendre une patience différente, qui est capable de consentir à la finitude, à une porosité renouvelée à la proximité voisine et à l’altérité lointaine», souligne l’Académie, qui invite notamment à une sensibilité plus vive à la détresse des pays pauvres, où cette pandémie s’ajoutent à tant d’autres que les pays riches observent trop souvent avec indifférence.
L’humanité doit appréhender une «éthique du risque». «Nous devons d’abord parvenir à une appréciation renouvelée de la réalité existentielle du risque : nous pouvons tous succomber aux blessures de la maladie, à la tuerie des guerres, aux menaces écrasantes des catastrophes. À la lumière de cela, des responsabilités éthiques et politiques très précises émergent à l’égard de la vulnérabilité des individus qui sont plus à risque pour leur santé, leur vie, leur dignité.»
La pandémie doit nous pousser «à aborder et à remodeler les dimensions structurelles de notre communauté mondiale qui sont oppressives et injustes, celles que la compréhension de la foi désigne comme des « structures de péché »». L’une des évolutions les plus urgentes, c’est de mettre la recherche médicale au service de tous et de sortir d’une logique marchande et concurrentielle.
«Le bien de la société et les exigences du bien commun dans le domaine des soins de santé passent avant tout souci de profit. Et cela parce que les dimensions publiques de la recherche ne peuvent pas être sacrifiées sur l’autel du gain privé. Lorsque la vie et le bien-être d’une collectivité sont en jeu, le profit doit être relégué au second plan», rappelle avec fermeté l’Académie pour la Vie.
Et chacun doit prendre sa part dans l’effort de solidarité, sans tout attendre de l’État. «Pour atténuer les conséquences de la crise, il faut renoncer à la notion selon laquelle « l’aide viendra du gouvernement », comme si elle venait d’un « deus ex machina » qui laisse tous les citoyens responsables en dehors de l’équation, épargnés dans leur poursuite de leurs intérêts personnels. La transparence des règles et des stratégies politiques, ainsi que l’intégrité des processus démocratiques, exigent une approche différente», insistent les rédacteurs de la note.
Le seuil de risque toléré et la solidarité dans le risque sont des questions à clarifier dans l’organisation de la société, tout en sachant que le risque zéro n’existe pas. La conclusion du document est donc un appel à l’intelligence et à la responsabilité de chacun, contre le risque d’un autoritarisme qui infantilise les populations : «Les solutions juridiques aux conflits dans l’attribution de la culpabilité et du blâme pour faute intentionnelle ou négligence sont parfois nécessaires comme outil de justice. Cependant, ils ne peuvent pas remplacer la confiance en tant que substance de l’interaction humaine. Seule cette dernière nous conduira à travers la crise, car ce n’est que sur la base de la confiance que la communauté humaine pourra enfin s’épanouir.»
Cyprien Viet – Cité du Vatican www.vaticannews.va/ réd
Juillet 2020