«Réjouissez-vous parce que vos noms sont inscrits dans les cieux» (Lc 10, 17-24). Cette promesse est la source de notre espérance, fondée sur la Résurrection du Christ, venu nous délivrer de la mort. Nous croyons à la «vie du monde à venir», proclamée dans le Credo, à la rencontre avec Dieu, dans cet au-delà que nous désignons dans le Ciel. Ce “Ciel” n’est pas un lieu, car il n’y a plus d’espace et de temps dans l’au-delà, mais une symbolique pour désigner une élévation vers ce qui est beau et bon, près du Père et de son amour. Comment les sciences peuvent-elles éclairer notre perception de l’au-delà ? Nous en avons parlé avec le professeur Jacques Besson, professeur honoraire de l’UNIL (Université de Lausanne). Il sera l’un de nombreux invités de la neuvième édition de Rendez-vous cinéma de l’ECR IL EST UNE FOI (1er-5 mai 2024) sur le thème de l’AU-DELÀ et de la conférence inaugurale du festival : « La vie au-delà du corps », le mardi 30 avril à 19h30 au Théâtre Les Salons (Rue J.-F. Bartholoni 6). Sur réservation.
Invité de la 9e édition des Rendez-vous cinéma de L’ECR « IL EST UNE FOI », le professeur Jacques Besson, médecin, psychiatre, addictologue, nous propose une réflexion vertigineuse sur l’au-delà.
P. J. Besson : Quelle que soit l’époque historique, le contexte religieux ou spirituel, la majorité des êtres humains se sont représenté un au-delà qui a pris de nombreuses formes différentes.
La science procède par hypothèses et modèles qu’elle doit vérifier. Une vérité n’est scientifique que si elle peut être réfutée par un modèle plus performant. En ce sens, il n’y a pas de «vérité scientifique». Il y a un état des connaissances.
Le scientifique doit faire preuve d’humilité et savoir où s’arrêtent nos connaissances et où commence la métaphysique, domaine qui dépasse ce que la science propose aujourd’hui.
On a longtemps cru que la science apportait des connaissances, ce qui est vrai. Mais au XXIe siècle, la science produit de l’incertitude. Nous savons par exemple qu’environ le 90 % de la masse de l’univers est de nature inconnue. Cela nous rend humbles par rapport à nos modèles.
Je m’intéresse aux limites du matérialisme pour expliquer la conscience. Je crois que la conscience est l’aventure de ce XXIe siècle et qu’une vraie enquête doit être menée à son propos. Elle doit être interdisciplinaire et convoquer des physiciens, des historiens, des philosophes et des théologiens. On nous dit que le cerveau fabrique de l’esprit.
Nous connaissons nombre d’expérience de conscience modifiée : l’hypnose régressive qui fait apparaître des vies antérieures, la médiumnité, le champ exploratoire des psychédéliques, devenu légal dans certaines conditions en médecine ou encore les expériences de mort imminente (EMI).
Pour la physique newtonienne, le cerveau est une machine dont les milliards de neurones rendent la conscience possible. Quand la vie s’arrête il n’y a plus rien. Mais les EMI ou l’hypnose régressive nous indiquent qu’il y a vraisemblablement autre chose que ce modèle n’explique pas.
La science post-matérialiste propose une inversion de paradigme : l’esprit ne serait pas dans le cerveau, mais le cerveau dans l’Esprit. Le cerveau serait l’instrument nécessaire pour accéder à la psyché, qui serait peut-être universelle ou partagée par toute l’humanité à travers le temps et l’espace, à l’image d’un univers dans lequel la matière se spiritualise.
Dans cette hypothèse, les expériences d’hypnose, d’EMI ou psychédéliques sont des étincelles indiquant que nous avons besoin de modèles qui dépassent la physique newtonienne. Voilà pourquoi je pense que si la science contemporaine est honnête, elle doit reconnaître ses limites et laisser de la place à des modèles alternatifs. Je crois qu’au XXIe siècle nous avons grand besoin d’une vision plus belle et plus vaste de l’univers.
L’EMI est un état proche de la mort, mais ce n’est pas la mort. Dans une EMI, on constate l’arrêt des fonctions vitales, le cerveau est en état de mort clinique, les électro-encéphalogrammes sont plats, le cœur est à l’arrêt et les poumons ne respirent plus.
Ce qui est troublant, c’est la similitude des témoignages de personnes qui ont vécu une EMI. Elles évoquent pour la plupart un tunnel, le passage en revue de sa vie, l’accueil par des personnes décédées, une grande lumière, des paysages merveilleux et une sensation de bien-être. Après ces expériences, les personnes concernées expriment souvent une vision renouvelée du sens de leur vie et de ce qu’il leur reste à faire.
Il y a un grand malentendu quant à la vie après la mort. Il ne s’agit pas de dire s’il y a une vie après la mort, mais de définir l’au-delà comme quelque chose de notre conscience, quelque chose qui ferait retour à une conscience plus grande, originaire, créative, lumineuse, une conscience universelle. Dans les grandes religions, c’est toujours d’amour qu’il s’agit.
Peut-être qu’il y a accès dans les moments d’EMI à quelque chose de plus grand que nous qui ne dépend pas de l’espace et du temps tels que nous les vivons. Nous pourrions parler d’espace sans espace et de temps sans temps, comme si notre vie, notre planète et notre univers étaient une partie de quelque chose de plus grand.
Notre cerveau et notre conscience seraient alors des filtres à travers lesquels nous ne voyons qu’une partie de la réalité. Quand ces filtres sont inhibés, nos perceptions changent. Les scanners de médiums en activité montrent que leur activité corticale est fortement diminuée et inhibée. Et les personnes qui pratiquent le chamanisme disent qu’il faut faire taire le mental pour faire émerger quelque chose de plus grand.
Cela permet d’imaginer que notre conscience humaine est un cas particulier d’une conscience générale.
Depuis Einstein et avec ce que nous avons appris de la physique quantique quant au rapport entre énergie, matière et temps, nous savons que tout est relatif. Nous sommes dans un univers évolutionnaire et l’on peut se représenter que la totalité est un monde créateur qui fait apparaître des mondes créés.
Le grand mystère de la création, c’est le dialogue entre le Créateur et les créatures. On appelle cela la religion, car cela nous relie. La conscience est le lien entre le monde créateur et le monde créé. Au moment de la mort, notre conscience individuelle rejoint peut-être la conscience universelle. Pour nous les chrétiens, le Christ est le lien entre le créateur et le monde créé.
Le Christ nous a dit qu’il sait d’où il vient. La Trinité chrétienne est une très belle vérité des liens entre le monde créateur et le monde créé, avec l’amour comme moteur ultime.
Avec cette question, on aborde le domaine de la foi. Je suis un scientifique, mais on peut être un scientifique et un mystique. C’est ma liberté et Saint Thomas d’Aquin disait qu’il n’y a pas de vérité sans liberté.
Je crois que la conscience est beaucoup plus grande de ce que l’on pense ; j’ai la représentation d’un univers qui se spiritualise. J’aime Pierre Teilhard de Chardin qui voit l’univers se déployer dans un mouvement ascendant vers la lumière. Je ne sais pas ce que c’est cette lumière.
Les mystiques qui ont vu l’invisible affirment que nous sommes des créatures destinées à rejoindre le Créateur. Le prophète Ezéchiel rapporte que l’Éternel a dit «je vous rassemblerai», c’est une belle vision prophétique d’une humanité réconciliée et rassemblée. Dans quelle dimension, je ne le sais !
Pour un chrétien, le Christ cosmique de Saint Paul ou de Teilhard de Chardin est quelque chose d’imaginable. Il se peut que je rejoigne le monde créateur avec ma singularité, avec l’existence que j’ai eue, les choix que j’ai fait, pour le meilleur et pour le pire. Dans les moments ultimes, notre vie apparaît dans la lumière et la vérité. Et tout ce qui est vrai, juste et bon, tout ce qui est amour est préservé et le reste disparaît dans le soufre et le feu.
BIOGRAPHIE PROFESSEUR JACQUES BESSON
Ancien chef du Service de psychiatrie communautaire, Département de psychiatrie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), il est actuellement Professeur honoraire de l’Université de Lausanne (UNIL) et, notamment, professeur invité à l’Institut des Humanités en médecine de la Faculté de biologie et de médecine (FBM, Lausanne).
Son intérêt pour la psychiatrie communautaire et la santé mentale l’a porté à étudier depuis de nombreuses années les rapports entre psychiatrie et religion et entre neurosciences et spiritualité.
Entretien paru dans REGARD N°20 – MAI 2024
Crédit images : Unsplash –