Le monastère œcuménique de Bose se situe non loin de Turin. C’est un lieu de lumière dans un trou. Le chemin qui y mène se dérobe parfois au GPS et c’est à la suite de courts virages de plus en plus étroits que l’on y accède. Le calme a un prix et, loin des agitations du monde, le temps y semble suspendu.
Dans son trou, le lieu est large, certes l’horizon est proche mais il respire. C’est cet encavement qui lui confère sa grandeur, son espace de vie, sa dimension spirituelle.
Créé en 1965 par le père Enzo Bianchi, le monastère abrite environ 80 moines et moniales. Œcuménique, il est ouvert sur le monde et donc accueillant. De nombreux séminaires y sont organisés et c’est là, en compagnie d’une vingtaine de participants, que j’ai passé quatre jours à discuter et réfléchir sur le thème de la « Difficile fraternité ». Sous le regard bienveillant et empli de savoir divers de quatre animateurs (une pasteure, Marie Cénec, une philosophe, Nathalie Sarthous-Lajus, un écrivain, Alexis Jenni et une psychanalyste, Dominique Gauch), nous avons tenté de percer les mystères de ce sujet au travers de trois textes de la Bible : Caïn et Abel (Genèse, chap. 4), Jacob et Ésaü (Genèse, chap. 32) et le Fils prodigue (Luc, chap. 15).
À la lumière des drames qui accablent les protagonistes, très vite, nous nous sommes demandé : « Quel est ce Dieu qui ouvre les portes de la jalousie et donc de la tragédie ? » La Genèse est emplie de violence et de trahison. Elle constitue un chemin à entreprendre pour saisir ce qui doit, ou du moins peut, nous lier. Caïn assassine Abel, c’est le premier meurtre de l’humanité, rusé, Jacob dépossède son frère Ésaü du droit d’ainesse et, dans la parabole du fils prodigue, celui qui reste est jaloux du retour de celui qui revient en héros et à qui le père offre plus que le pardon, son amour inconditionnel.
La démesure de la passion humaine transforme la fraternité en malédiction. Il est également important de comprendre que le Dieu « tout amour » n’est pas une fin en soi. La fraternité est une conquête et c’est par nos actes que l’on atteint une forme de plénitude et que l’on ouvre peu à peu la porte à la compréhension, par l’écoute et une main tendue vers l’autre. D’ailleurs, banni, Caïn réussit sa vie sur terre, loin de Dieu. Jacob se réconciliera avec Ésaü. Quant au fils prodigue, Luc ne dit rien sur leur éventuelle réconciliation. C’est à nous de terminer l’histoire…
La dimension poétique de la Genèse sur la fraternité désarçonne la raison et en cela, la lecture et l’éclairage exégétique de ces textes constituent un bien précieux car il permet d’entrevoir une forme de discernement. Dans ces trois récits, la figure du père est centrale, les frères s’affrontent et nous comprenons rapidement qu’il s’agit de nos propres histoires. En fin de compte, la Bible parle de nous, de nos choix et de notre relation avec l’autre.
Quoi de mieux qu’un monastère dédié à la vie fraternelle pour méditer sur la fraternité.
Bose est également un lieu de recueillement et la vie monastique est rythmée par ses règles, celles de la prière et des repas partagés dans le silence. La chapelle au design moderne et épuré est le centre vers lequel tous convergent, plusieurs fois par jour, et moines et moniales se répondent avec des chants qui illuminent nos cœurs et atténuent les tensions du corps.
Le matin, la brume d’octobre se dissipe peu à peu et la lumière qui émerge lentement apporte le réconfort propice à la marche au milieu des châtaigniers et des tilleuls. La vie contemplative qu’adoptent les frères et les sœurs de Bose prend tout son sens dans cet endroit pur et accueillant, élégant sans être ostentatoire, car la beauté fait partie intégrante de la contemplation.
À Bose, la table est bonne (on est en Italie). Pour son créateur, Enzo Bianchi, la qualité des repas fait partie intégrante de cette fraternité vécue quotidiennement par les moines et les moniales.
Entre réflexion et prières, chants pleins de grâce, tout confine à la contemplation, la méditation et au partage. Ainsi, lorsque l’on repart, c’est avec un petit plus intérieur, une forme de plénitude qui donne envie de revenir. Revenir à Bose pour écouter les chants de prière qui emplissent l’âme, partager nos réflexions et méditations, car, en fin de compte, c’est peut-être ça, la fraternité : entre silence et réflexions.
Geoffroy de Clavière