Qu’est-ce que le péché ? Qu’est-ce que le pardon ? A quel âge un enfant peut-il appréhender le sens du sacrement de la réconciliation ? Mandaté par le Service catholique de catéchèse, un groupe de réflexion* sur la pastorale du sacrement de la réconciliation dans le cadre de la catéchèse des enfants, a organisé le 27 avril dernier une table ronde sur le thème « Les enfants, le péché et le pardon – regards théologique et psychologique » avec deux intervenants : le prêtre et théologien Bernard Miserez, actuel gardien de la chapelle Notre-Dame du Vorbourg (Jura), et Philip Jaffé, psychologue, membre du comité des Nations Unies sur les droits de l’enfant, de l’Institut international des droits des enfants (Sion) et professeur à l’Université de Genève. Deux regards sur un vaste chantier !
« L’histoire de ce sacrement est terrible ! », tonne Bernard Miserez devant les dizaines de personnes réunies à la Salle Caecilia, de la paroisse Saint-Antoine-de-Padoue. La confession a été l’instrument d’une pastorale « de la peur, pour gérer l’intimité des familles et les secrets des personnes. Ma génération est encore marquée par une pratique de ce sacrement plus proche de celle d’un tribunal que d’une rencontre avec Dieu », regrette le prêtre jurassien. Proche des 70 ans, il est témoin d’une évolution : « Aujourd’hui, je rencontre des personnes qui viennent se confesser pour dire « voilà où j’en suis », déposer un trop-plein, des peurs, parfois des atrocités. Cette démarche les immerge dans quelque chose de plus grand qu’eux ».
Pour cet ancien directeur de l’IFM**, on ne peut pas comprendre le sacrement du pardon en dehors du dessein d’amour de Dieu pour les hommes. « Dieu cherche par tous les moyens de faire connaître son projet d’alliance à son peuple » et son Fils se fait homme « pour communier à l’humanité », pour manifester que Dieu est proche, explique Bernard Miserez. Le Christ « est premier sacrement », signe visible d’une réalité invisible, et tous les sacrements prennent naissance dans le mystère de sa mort et sa résurrection. Depuis le deuxième concile de Lyon (1274), leur nombre est établi à sept, dont deux de guérison : l’onction des malades et le sacrement de réconciliation.
Le pardon « guérit de la spirale de la haine et de la vengeance et ouvre un avenir », souligne l’intervenant. Plus que nos fautes ou nos manquements, le vrai péché est de croire que « Dieu ne veut pas mon bonheur, de le soupçonner de ne pas m’aimer ». Cette méfiance « nous détourne de Dieu » et nourrit l’illusion que nous pouvons vivre de nous-mêmes, insiste-t-il.
Pour Bernard Miserez le sacrement de la réconciliation est « un baptême à sec », une immersion dans l’amour de Dieu, dans son regard qui ne condamne pas, une étreinte. Il permet une renaissance de la personne. Et d’en souligner la dimension communautaire : « Quand je suis pardonné, mes relations aussi vont mieux. Comme personne réconciliée j’embellis le monde ».
Chez les enfants, bien nombreux à ne pas trop savoir que dire au confesseur, l’expérience de la confession doit ouvrir « un espace de confiance » où ils se découvrent aimés par un Dieu qui accueille et qui pardonne nos fragilités et faiblesses, insiste Bernard Miserez.
Qu’en pense le psychologue ? Le sacrement du pardon « n’est pas une mince affaire » et requiert plusieurs compétences, explique le professeur Philip Jaffé. Il comporte « d’examiner son propre comportement, sa conscience, puis de détecter et identifier les éléments qui ne correspondent pas aux normes morales. Ensuite de reconnaître qu’un tort causé peut être mieux absorbé par un processus de réconciliation avec l’autre. Et enfin que tout ceci peut être élevé à un autre niveau dans un échange avec un guide spirituel, qui va placer le processus dans une transaction avec Dieu, qui aboutit au pardon, lui-même lié à la sincérité de la démarche », a-t-il détaillé dans une description « hors religion » des étapes cognitives requises par le sacrement de réconciliation.
« Personne ne peut concevoir qu’un nouveau-né soit compétent pour une telle opération », fait valoir Philip Jaffé. A quel âge cela devient-il possible ? Pour que le sacrement du pardon ait du sens, il faut en premier lieu être capable de distinguer le bien et le mal. Chaque enfant – explique le professeur – évolue à son propre rythme, mais des recherches sur le développement moral définissent trois stades : pré conventionnel, où se développe une conscience liée à son propre intérêt, conventionnel et postconventionnel.
C’est dans la phase conventionnelle, autour de 8-10 ans, que les notions du bien et du mal sont assez bien identifiées, explique le conférencier. L’enfant comprend qu’il y a des règles sociales et son intérêt individuel à les respecter s’élargit et intègre la qualité de la relation avec les autres. Dans le stade postconventionnel, l’individu est capable de remettre en question les normes et de développer l’agentivité et donc d’agir pour influencer les règles et le cadre. D’autres étapes importantes du développement conduisent l’enfant à forger une identité propre et à s’intéresser aux autres.
Philip Jaffé cite également la Convention de l’ONU sur les droits de l’enfant, dont l’article 14 stipule le devoir de l’État de respecter le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion et le droit et le devoir des parents de guider l’enfant dans l’exercice de ces droits, « d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités », jusqu’à l’autonomie.
Et le sacrement du pardon dans tout ça ? Pour le psychologue, le sacrement du pardon peut participer au processus d’autonomisation et de développement de l’enfant : en effet, « il offre un espace de réflexion et d’échange qui élève sa conscience et qui le soutient dans le processus d’harmonisation avec soi-même et les autres ». Le sacrement du pardon amène d’autre part, « l’enfant à s’auto-observer et à identifier ses écarts par rapport à une forme de moralité, celle du vivre-ensemble ou celle que la spiritualité demande. Il apprend aussi à s’appuyer sur l’autre pour se laisser guider, afin d’avancer, se faire pardonner et se comprendre », poursuit Philip Jaffé. Néanmoins, au terme d’une maturation intérieure, la guidance de l’adulte, prêtre ou autre personne bienveillante, reste-t-elle nécessaire ?, interroge le psychologue, pour qui l’autonomisation devrait conduire l’individu à une négociation directe et personnelle avec une entité supérieure.
Le public est ravi. Tel que décrit par les deux intervenants, le sacrement du pardon donne envie d’aller se confesser, mais d’aucuns soulignent la réalité d’expériences différentes, parfois douloureuses.
Au fil du débat, des questions surgissent, sur les gestes ou des rituels pour accompagner le sacrement et des ajustements possibles émergent. Pour Bernard Miserez, il est par exemple dommage que l’Église fasse du sacrement de la confession un préalable à la première communion : « Certes il faut un discernement, mais ce passage obligé dénature l’eucharistie, qui devient un sacrement élitaire, à mériter, alors que c’est un don ».
A l’avenir, « il faudra prophétiser sur ce sacrement en lui donnant sa véritable quintessence. J’espère – conclut Bernard Miserez – que le processus synodal touchera à la question du sacrement du pardon pour en relever toute la beauté. »
SD&C, paru dans le Courrier pastoral n°6 – juin 2022
*Le groupe compte 4 agents pastoraux: Caroline Baertschi, Sébastien Baertschi et Martha Herrera et Olivier Humbert (prêtre). Sa réflexion souhaite répondre aux besoins et à la réalité d’aujourd’hui . L’objectif est d’offrir une proposition catéchétique aux paroisses pour l’accompagnement des enfants autour de ce sacrement.
**Institut romand de formation aux ministères, devenu le Centre catholique romand de formations en Eglise.