Un médaillon avec une mèche de cheveux de Madame de Charmoisy cousine de Saint-François de Sales été trouvé dans les archives de l’ECR. Récit.
Passant d’un gond de porte du couvent Sainte-Claire de Genève « fondu en 1473 », à une icône mangée par les vers, puis à un ouvrage du philosophe et théologien français Jean de Gerson (1363-1429), Nathalie Martinoli
enchaîne les petites et les grandes découvertes dans son petit royaume, mélange de poussière, de papier, de livres, lettres et autres objets et documents de toute sorte. L’archiviste de l’Église catholique romaine à Genève ne s’en lasse pas. Se déplaçant d’une pièce à l’autre de l’immeuble de la rue des Granges, siège de l’Église catholique romaine à Genève (ECR), elle fouille, range, enquête et classe, guidée par le sentiment de humer des siècles d’histoire et l’espoir secret de tomber sur un trésor oublié !
Ainsi l’autre jour, elle a découvert un médaillon fort singulier. Il abrite, parfaitement conservé malgré les siècles, une mèche de cheveux de Louise de Vidomne de Charmoisy, née Louise Duchastel (1578-1646). Ce nom ne vous dit rien ? Louise Duchastel était la cousine de Saint-François de Sales et sa Philothée et disciple.
Le médaillon avec sa mèche de cheveux a été remis en 1876 par le comte Amédée de Foras (1830-1899) à Jules Vuÿ, comme indiqué par une inscription au dos. Avocat, juge et politicien, Jules Vuÿ (1815-1896) a notamment rédigé La Philothée de Saint-François de Sales : Vie de Mme de Charmoisy et de nombreux documents lui ayant appartenu sont présents dans les archives de l’ECR. L’ECR a fait don de ses archives aux Archives de l’État de Genève et à la Bibliothèque de Genève, mais garde celles datant de moins de cent ans. Des documents et objets plus anciens sont néanmoins toujours présents comme le médaillon avec la mèche de cheveux de Mme de Charmoisy, observe Nathalie Martinoli.
Dans le cadre de l’imminent déménagement du personnel de l’ECR dans le bâtiment de l’église du Sacré-Cœur, prévu au printemps 2024, l’archiviste de l’ECR conduit un laborieux inventaire : « Je suis impressionnée par le volume et par la richesse des documents et autres objets que je découvre », confie-t-elle.
Mais revenons au médaillon déniché et son contenu. Quelle est sa valeur ? Une estimation exacte est difficile. « Garder ainsi une mèche de cheveux, qui plus est dans un médaillon travaillé, doré ou en or qu’on pourrait porter sur son cœur est un acte symbolique, intime, affectueux », explique l’archiviste. Elle rappelle que deux femmes ont croisé la route de François de Sales (1567-1622) : Jeanne de Chantal, qui a fondé avec lui l’ordre de la Visitation (1610), et Madame de Charmoisy.
Louise Duchastel, d’origine normande, est dame de compagnie de Catherine de Clèves. On la dit « douée d’une beauté remarquable ». En 1600, elle épouse Monsieur Claude de Charmoisy, gentilhomme ordinaire de la Chambre d’Henri de Savoie duc de Genevois et de Nemours, chargé de missions diplomatiques puis officier seigneurial des eaux et forêts. Ils ont deux enfants : Henri et Françoise. C’est en 1604 que Louise choisit définitivement d’aspirer à la vie dévote et de connaître une vie de prière, explique Nathalie Martinoli. François de Sales lui écrit alors pour lui prodiguer des conseils spirituels. Elle devient sa Philothée, celle qui aime Dieu : phileo et theos en grec.
Louise fait lire ces textes autour d’elle, jusqu’à ce qu’un jésuite, l’abbé Jean Fourier, recteur du collège de Chambéry, lui demande de les publier. François de Sales accepte donc de reprendre les lettres et de les publier après quelques retouches, sous le titre d’Introduction à la vie dévote. Le langage et le style utilisés étaient très simples pour l’époque, sans citations latines ni grecques, permettant une lecture beaucoup plus large que les traités spirituels qui existaient alors.
L’ouvrage s’adresse à des laïcs ne se destinant pas à la vie religieuse. Son but principal est de montrer qu’il est possible de mener une vie sainte tout en vivant dans le monde. Ce livre, publié à Lyon en 1609, eut très vite un énorme succès . En effet, il fut ainsi réimprimé plus de quarante fois du vivant de François de Sales. Une édition en français moderne parut en 1695 et fut rééditée jusqu’au XXe siècle.
Lors de vols commis dans les années 1970 dans les locaux de l’ECR, deux éditions anciennes de l’Introduction à la vie dévote ont été emportées. Elles dataient de 1615 et 1620, donc du vivant de Saint-François de Sales, souligne l’archiviste de l’ECR
Dans quelles circonstances le médaillon avec la mèche de cheveux est-il arrivé à la rue des Granges ? Comme déjà indiqué, le Comte Amédée de Foras a remis le livre à Jules Vuÿ. Homme intéressé par l’histoire de la noblesse de la Savoie, le Comte travaille en particulier à l’élaboration d’un armorial des familles nobles du duché de Savoie. Serait-ce en ces circonstances qu’il entre en possession du médaillon de cheveux de Mme de Charmoisy ? « Je n’ai actuellement pas de réponse à cette question, mais le fait est qu’il remet le médaillon à Jules Vuÿ le 13 août (espace) 1876 peu de temps après la parution de l’ouvrage de ce dernier sur la Philothée de Saint-François, 300 ans après la naissance de celle-ci », explique Nathalie Martinoli. L’intérêt de l’un pour la noblesse et de l’autre pour la Philotée se sont sans doute croisés à cette occasion. Le médaillon a certainement accompagné les documents de Jules Vuÿ lors de leur dépôt à l’Eglise catholique de Genève.
Août 2023
Image en Une : Médaillon archives saint-François de Sales – ECR