La précarité ne part pas en vacances ! En ce mardi d’été, le bureau d’Inès Calstas ne désemplit pas. Nous sommes au Temple de Montbrillant, c’est ici, dans un esprit œcuménique, que cette assistante pastorale de l’Eglise catholique romaine à Genève a planté sa tente de solidarité, un bureau au rez-de-chaussée près du coin cuisine et du secrétariat de ce lieu de culte protestant.
La porte de son bureau est ouverte. C’est une sorte de permanence informelle pour un entretien, un conseil, pour boire un café. Aucun horaire n’est affiché sur la porte. Inès y accueille des hommes et femmes en situation de grande précarité, souvent à la rue, et qui trouvent ici un espace d’hospitalité et d’entraide. Inès les connaît tous par leur nom ou presque.
Il est bientôt midi. Inès règle un dossier de factures et amendes impayées pour délit de mendicités. Elle a négocié un échelonnement des paiements pour éviter la’ case prison’, « une solution humainement lourde et chère pour la société », souligne-t-elle.
Soudain, un groupe déboule à la cuisine accompagnée de Jonas, jeune stagiaire qui travaille avec Inès depuis quelques semaines. Ils sont contents, ils viennent de terminer leur travail dans le jardin potager aménagé derrière le temple.
Le potager est l’une des activités proposées par la Pastorale des Milieux ouverts de l’Eglise catholique romaine à Genève, un service du Pôle Solidarités. Ce jardin potager, baptisé Mô Ki Pousse, est une initiative œcuménique ouverte à celles et ceux qui aiment jardiner ou passer un moment convivial. C’est un grand succès !
« J’aime beaucoup le jardinage, ça m’apaise », raconte Ahmadou, du Sénégal, venu au temple pour participer à l’activité malgré la canicule.
L’ambiance est au calme. Plusieurs demandent conseil à l’assistante pastorale pour une démarche ou pour un ami. D’autres font des suggestions. Un groupe boit un café en discutant, à l’abri du soleil.
« Les personnes passent sans rendez-vous. Hier après-midi, l’atelier de couture venait de se terminer et nous étions nombreux autour de la table. Soudain, un monsieur est arrivé avec un jeune», raconte l’assistante pastorale.
Sans trop d’explications, il nous a confié le jeune homme, mineur, qu’il avait trouvé à la gare, seul, perdu et sans pièce d’identité. Le monsieur nous a dit être venu vers nous car nous sommes une Eglise, puis il est reparti prendre son train. Le jeune, africain, était en mauvaises conditions. Sa précarité était grande », relate Inès.
« Nous l’avons accueilli et nous avons contacté l’Unité mobile d’urgences sociales », compétente pour la prise en charge des situations d’urgences. « Par chance, je connaissais la personne qui est venue le chercher car j’avais déjà eu des contacts avec elle », explique la responsable de la Pastorale de Milieux ouverts, qui a l’habitude de travailler en lien avec différents offices et organisations d’aide sociale de la région.
« Le jeune avait du mal à parler, mais petit à petit, alors qu’il était encore avec nous, il s’est apaisé. En effet, je n’étais pas seule pour gérer la situation. Avec moi, il y avait des Roms, des Africains de l’Ouest, des Maghrébins… Des personnes en situation de précarité avec qui nous travaillons, qui comprenaient et savaient par quoi le jeune était passé.
Tout le monde s’est senti concerné et le jeune a vite senti que nous formons une communauté. C’est ça notre force, nous sommes solidaires et co-responsables », souligne l’assistante pastorale.
Beaucoup fréquent l’OASIS, un lieu d’accueil œcuménique pour les personnes en grande précarité ouvert le lundi matin au Temple de la Servette. On peut s’y nourrir, se laver, trouver des habits, participer à une prière ou bénéficier d’un accompagnement spirituel. Les mots d’ordre sont inclusion et co-responsabilité.
Pour les habitués, une petite centaine de personnes, l’OASIS est également un espace d’écoute, de partage et de rencontre : une famille. Plusieurs dizaines de personnes participent aux activités du jardin potager et à l’atelier de couture.
Kodjo fréquente la Pastorale des Milieux ouverts pour son côté humain : « J’ai tout de suite trouvé un bon accueil et Madame Inès est très bonne. Je retrouve des amis, des frères qui viennent d’Afrique comme moi », précise-t-il. Pour Ahmadou également, le côté social est primordial. « Être ici ou à l’Oasis nous aide beaucoup alors que dehors nous sommes discriminés. Nous recevons des dédommagements pour des petites activités et c’est important. »
Pour les personnes à la rue, « l’été est moins cruel que l’hiver », confie Moussa. « En été, tout le monde reste dehors et les personnes à la rue sont moins reconnaissables et donc moins stigmatisées », souligne Inès.
En cas de canicule, les risques de déshydratation ou d’insolation sont néanmoins importants importants pour les personnes qui n’ont pas de domicile. De plus, des services d’assistance et les écoles ferment pour les vacances.
« Jonas a donc eu l’idée d’organiser des après-midis à la piscine pour les enfants et les familles. C’est la première fois que nous prenons une telle initiative », précise Inès.
Le jeune stagiaire de l’Ecole de Culture Générale est très à l’aise dans ce milieu. « C’est une expérience très forte et intéressante. Il y a une force qui se dégage des personnes que je rencontre. Il y a aussi un cadre juridique que je ne connaissais pas et ce sont les personnes que nous accompagnons qui m’ont aidé à le découvrir. C’est fort ! », s’exclame Jonas.
C’est l’heure de partir et il incombe à Jonas de fermer le local. Inès doit courir pour se rendre à la prison de Champ-Dollon pour rencontrer un jeune sans-papiers, ni famille en Suisse.