Solidarité – Ukraine: Depuis un an, la paroisse catholique Sainte-Clotilde de Genève fonctionne comme une petite ONG humanitaire internationale. Son objectif? Venir en aide à la population d’Ukraine, grâce à un important travail de réseautage, en lui faisant parvenir des tonnes de marchandises. Principalement des médicaments à destination d’hôpitaux.
À l’effervescence qui a suivi les premières semaines de l’invasion russe en Ukraine et l’acheminement d’urgence de 420 tonnes d’aide humanitaire aux Ukrainiens et Ukrainiennes par la paroisse Sainte-Clotilde, ont succédé, depuis mars 2022, des livraisons régulières de marchandises dans ce pays. Tous les deux ou trois mois, des camions remplis de biens de première nécessité partent pour l’Ukraine depuis la cour de la paroisse genevoise.
«La guerre a commencé un jeudi soir, relate Sandra Golay, présidente du conseil de la paroisse de Sainte-Clotilde. Avec la Caravane sans frontières, nous avons décidé, dès le dimanche, de récolter et d’acheminer en Ukraine des biens de première nécessité. Nous avons contacté les autorités de l’Église polonaise, qui ont tout de suite accepté de nous aider. Nous savions qu’il fallait faire vite puisque les frontières n’allaient pas tarder à fermer.»
La nouvelle se répand comme une traînée de poudre à Genève via les réseaux sociaux. La générosité des Genevois dépasse les attentes de l’équipe paroissiale, qui se retrouve, le lundi à 11h déjà, avec des locaux débordants de marchandises, de vêtements et de nourriture surtout. D’autant plus que la mission diplomatique de l’Ukraine redirige les donateurs vers Sainte-Clotilde.
Face à l’ampleur de la tâche, une équipe de paroissiens et d’amis – bientôt renforcée par 420 bénévoles! – décide de prendre une semaine de congé, puis trois pour l’assurer. Les dons sont triés et empaquetés, et la paroisse se met en relation avec le Père grec-catholique Sviatoslav Horetskyi, envoyé en mission à Genève et Lausanne, et son épouse Justine pour trouver des camions et des chauffeurs ukrainiens.
L’équipe paroissiale apprend vite. Après un premier acheminement en Ukraine, le mardi déjà, de 22 tonnes de vêtements et de nourritures par la frontière avec la Pologne, et un deuxième le lendemain même via la Moldavie, elle décide, renseignements pris, de concentrer ses appels aux dons aux seuls médicaments et produits pour les enfants. «Les Ukrainiens ne manquaient pas de nourriture, tandis que les hôpitaux risquaient d’être vite débordés et de se retrouver à cours de médicaments, explique Sandra Golay. On a donc opté pour des envois plus ciblés.»
En l’espace de cinq jours, cinq camions de 23 tonnes sont apprêtés et envoyés en Ukraine. Y sont notamment embarqués l’équivalent de 300’000 francs de matériel, comme des compresses (très onéreuses) pour les grands brûlés victimes d’attaques aux produits chimiques.
Les soutiens arrivent de tous côtés. «On a plein de petits anges ici!» s’exclame la présidente de paroisse. «Des grandes sociétés ont accordé des congés spéciaux à leurs employés. C’était une solidarité extraordinaire.» Des particuliers et des pharmaciens de Genève et de France voisine fournissent les médicaments, qu’infirmiers et médecins vérifient, valident et classent.
La société Vanride met à disposition des vans et des chauffeurs pour acheminer les médicaments les plus délicats en Ukraine. Ils retournent à Genève avec, à leur bord, des familles et des personnes à mobilité réduite. À Sainte-Clotilde, une équipe de cinq bénévoles se mobilise pour les placer dans des familles d’accueil. «Nous avons dû aussi trouver un logement pour deux familles avec des enfants lourdement handicapés.»
Impossible de citer toutes les entreprises, associations laïques ou d’Église, de Genève, de Vaud, de France, de Pologne, de Moldavie et d’Ukraine qui se sont mobilisées durant l’année écoulée autour de cette opération.
Un énième camion est parti récemment et un autre le fera prochainement. «Nous ne pouvons ni dire quand il part ni où il se rend, pour éviter qu’il ne se fasse piller en chemin ou sur place», explique Sandra Golay. Les organisateurs, en effet, doivent prendre leurs précautions pour que tout arrive à bon port, aux bonnes personnes, mais aussi pour que tout soit en règle.
«La première semaine de guerre, suite à notre appel sur les réseaux sociaux, des personnes à bord d’un camion arborant des drapeaux ukrainiens ont pénétré dans la cour et nous ont demandé les médicaments pour je ne sais quelle organisation. Leurs réponses étaient floues. Le colonel Jean-François Duchosal était à nos côtés ce jour-là et il nous a aidés à ne pas nous laisser embarquer là-dedans.»
Et de poursuivre: «En tant que paroisse catholique, nous avons décidé de ne pas prendre parti. Nous avons un commandement qui dit ‘tu ne tueras point’. Par contre, nous sommes là pour aider la population civile à survivre! C’est à elle que notre aide est destinée.»
Tous les cartons sont vérifiés par des responsables de la paroisse avant leur embarcation dans les camions, pour s’assurer qu’ils ne contiennent rien d’illégal. Les médicaments qui demandent des permis d’exportation particuliers, comme la morphine ou l’insuline, sont acheminés via la mission d’Ukraine. «Nous ne pouvons pas prendre le risque de voir tout un camion bloqué à cause d’un produit problématique. Ainsi nous avons reçu un lit de camp de l’armée suisse, mais nous avons décidé de ne pas l’envoyer, car nous ne voulons rien qui nous rattache aux militaires. De la même façon, nous faisons tout pour éviter que notre marchandise ne serve aux combattants ukrainiens.»
Bien sûr, rien ne peut être garanti à 100%. Mais jusqu’à aujourd’hui, la paroisse Sainte-Clotilde dit ne déplorer aucun détournement. Le voyage du dernier camion plein de produits médicaux, envoyé à Vinnytsia, au centre du pays, a été supervisé jusqu’au bout par Tamara, «une réfugiée ukrainienne courageuse qui a reçu des autorités suisses la permission de se rendre en Ukraine pour cette mission humanitaire».
Sandra Golay explique: «Nous ne pouvons pas acheminer nous-mêmes les médicaments dans les différentes villes du pays. Il est impossible de trouver un conducteur qui accepterait de se rendre à Mickolaïv. C’est bien trop dangereux. Nous livrons donc la marchandise dans des entrepôts à Vinnytsia, et ce sont les hôpitaux du pays qui viennent la chercher. Mais Tamara est restée sur place jusqu’au bout pour vérifier sa bonne distribution.»
Le système de tri et d’étiquetage a aussi été peaufiné. Chaque carton est étiqueté de manière détaillée. «Les gens sur place nous ont dit, ‘s’il y a une bombe qui tombe, on n’a pas le temps de trier un sac’. C’est pourquoi tous les paquets doivent être clairement étiquetés, en ukrainien aussi, pour qu’ils puissent être rapidement livrés dans le bon service.»
Déjà des nouveaux dons affluent: vêtements, médicaments, chaise roulante… Des défibrillateurs et 26’300 m3 de bâches plastiques pour la protection et la reconstruction sont attendus d’ici peu, offerts par plusieurs sociétés françaises. «Nous aimerions recevoir plus de matériel d’ergothérapie», lance Sandra Golay.
Aujourd’hui, l’Ukraine affronte un nouveau problème: la pollution de ses eaux autrefois potables. «La communauté portugaise de Genève nous a offert 2000 francs destinés à acheter des pastilles de purification d’eau. On a reçu aussi des grosses bombonnes à eau. C’est très pratique pour les gens obligés de se réfugier dans les caves à Mickolaïv. Une pastille dans une bonbonne purifie plusieurs litres d’eau.»
Entre l’eau non potable et les coupures d’électricité, cuisiner devient de plus en plus compliqué, surtout dans les campagnes. D’où le dernier projet du conseil de cette paroisse hyperactive du quartier de la Jonction. «Il existe à Vinnytsia une entreprise qui prépare des sachets de repas tout prêts, sous vide, pour un coup dérisoire et au bon goût (le conseil de paroisse les a goûtés!). Les apprêter demande peu d’énergie, un feu de bois suffit. Ils sont sans doute destinés aux soldats, mais nous nous en avons acheté 4000 pour les distribuer dans des villages, dans des hospices et un orphelinat. On a mis un QR code pour officialiser la chose et indiquer que ces sachets ne peuvent pas être vendus.»
Sandra Golay est intarissable sur le sujet. Et quand elle évoque toutes les personnes qui se donnent pour faire vivre cette opération, joliment intitulée Du cœur à la main, elle s’enthousiasme encore plus. «Quand on parle de l’Église catholique aujourd’hui, c’est surtout pour l’accuser par rapport aux questions d’abus. Mais on parle moins de son action sociale! La diaconie de l’Église est exemplaire, je trouve. Notre aide à l’Ukraine n’aurait pas pu avoir lieu sans les paroissiens d’ici, l’Église polonaise, les scouts de l’Université catholique ukrainienne de Lviv et les catholiques de Moldavie!» (cath.ch/lb)
Texte et images Lucienne Bittar – © Centre catholique des médias Cath-Info, 24.02.2023