Près de 1400 personnes ont eu recours à l’association Exit en 2021 pour une assistance au suicide. Les chiffres sont en hausse et la pratique du suicide médicalement assisté acquiert de nouveaux droits en Suisse. Fin novembre, les Valaisans ont en effet largement accepté (76,55 %) une loi qui encadre la pratique de l’assistance au suicide en institution de santé. Le Valais a ainsi rejoint les cantons de Vaud, Neuchâtel et Genève qui avaient légiféré en ce sens ces dernières années. Dans ce contexte, quelle doit être la posture des aumôniers de l’Église catholique présents dans ces lieux ?
En Suisse, toute personne qui exprime le désir de mettre fin à ses jours avec une organisation d’aide au suicide, et qui remplit certaines conditions, peut le faire à domicile ou dans un lieu privé. Pour les personnes en institution, dans le canton de Genève, le Grand Conseil a adopté en 2018 une loi qui garantit la possibilité pour tout patient en établissement médical privé et public (hôpital) ou résident d’Établissements médico-sociaux (EMS) de bénéficier de l’aide au suicide. Dans ce cadre, le journal Le Temps annonçait récemment que les
Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont modifié leurs directives pour encadrer l’assistance au suicide aussi en leurs murs, alors qu’auparavant, les patients devaient se déplacer hors de l’hôpital pour absorber la potion létale, sauf si un retour à domicile s’avérait impossible. La prescription de la dose létale doit être effectuée par un médecin externe à l’hôpital et une hospitalisation pour un suicide n’est pas autorisée.
Les aumôniers d’hôpital et en EMS côtoient ces réalités. Et si la doctrine de l’Église a toujours défendu la vie humaine, de la conception à la mort naturelle, face à des problèmes si complexes, il n’y a pas de réponses toutes faites : « Nous sommes sur une ligne de crête : ni juger, ni abandonner d’une part, ni justifier ni valider de l’autre », résume Évelyne Colongo-Oberson, Responsable de l’aumônerie catholique du site Cluse-Roseraie (HUG).
« Pour nous les aumôniers, il y a deux temporalités, le moment où le patient est en train de vivre des instants difficiles et se pose la question du suicide, un temps durant lequel nous pouvons aider la personne à discerner. Dans une posture de non-jugement, notre rôle d’accompagnants est d’entendre la détresse de la personne et de voir ce qui est encore vivant chez elle, faire des liens entre la personne et sa vie, d’autres personnes et même Dieu. On parle de temps de contemplation », explique l’aumônière. Quand la décision de passer à l’acte est prise, « nous sommes dans le temps de l’organisation. Il est important de demander aux personnes comment elles veulent vivre ces moments ».
« Il n’y a pas une volonté des aumôniers de se mettre en première ligne pour accompagner les demandes de suicide. Notre rôle est d’être présents à la demande. Comme pour les soignants, c’est à chaque aumônier de se positionner et de déterminer ce qui est envisageable pour lui. Nous sommes présents aussi pour les proches et les soignants si nous sommes sollicités », ajoute Évelyne Oberson.
Pour la Conférence des évêques suisses (CES), l’orientation générale demande d’accompagner « le plus loin possible » les personnes décidées à un suicide assisté. Les directives de la CES indiquent toutefois que lors du passage à l’acte, « l’agent pastoral a le devoir de quitter physiquement la chambre du malade ».
Récemment, Évelyne Oberson a accompagné une femme qui a fait appel à une association d’aide au suicide et qui a souhaité un accompagnement religieux. « Au moment de l’acte, j’étais en retrait, pour que ma présence ne valide pas son acte, mais exprime le fait que Dieu est fidèle et que son amour est inconditionnel .»
Son collègue Sandro Iseppi, aumônier aux soins intensifs des HUG, a eu l’occasion d’accompagner des patients inscrits à une association pour le suicide assisté. « Si le patient est croyant et surtout s’il est catholique, la première question qu’il me pose est : Est-ce que Dieu va m’accueillir au paradis ? Qu’en pensez-vous ? Ces questions nous prennent un peu en otage. En tant qu’aumônier mandaté par l’Église, je ne peux pas dire oui au suicide. J’explique alors avec un langage approprié pourquoi l’Église catholique s’oppose à cet acte, qui reste un geste de violence. Je parle avec eux des soins palliatifs, de comment soulager la douleur. Mais je ne me sens pas le droit de juger les personnes, je ne peux pas me mettre à leur place, savoir comment et combien elles souffrent. Je les accompagne du mieux que je peux .»
Il arrive – explique l’aumônier – que les personnes qui choisissent le suicide assisté expriment une souffrance liée à une perte de dignité, dépendre des autres est difficile et peut être vu comme dégradant. Aussi, ils ne veulent pas peser sur la famille et la société. « Par rapport à leur séjour à l’hôpital, je les ai entendus me dire : vous vous rendez compte combien ça coûte ? Ils ressentent une pression sociale, avec tout ce qu’on entend dans les débats sur les coûts de la santé et des aînés », observe-t-il.
De plus, le choix de la personne n’est pas toujours compris par la famille : « Il y a des tensions qu’il faut accompagner, apaiser, écouter et comprendre », témoigne l’aumônier. Après le suicide, il arrive que des membres de la famille « prennent contact avec moi et expriment un sentiment de culpabilité pour avoir accepté le choix du proche, ils me disent : j’aurais peut-être dû dire ou faire quelque chose pour qu’il change d’avis ».
Responsable de la Pastorale de la santé, Cathy Espy-Ruf travaille dans les EMS. Son expérience rejoint celles de ses collègues. Elle a récemment accompagné une dame croyante, pratiquante et dynamique, qui avait perdu la mobilité. Elle était inscrite à Exit, tout en se posant des questions sur son salut en cas de suicide assisté. « Je lui rendais visite régulièrement depuis un certain temps. Elle avait une fille et deux petits enfants. Après une chute, il était devenu urgent pour elle de quitter ce monde. Elle voulait tout contrôler et a voulu organiser ses funérailles dans les moindres détails », se souvient l’aumônière.
Après le décès, sa fille a fait part d’un grand chemin de deuil. « Chaque situation est différente et le rôle de l’aumônier demande du discernement. Nous sommes sur le parvis, pour accompagner la personne, sans que notre présence valide son choix », observe Cathy Espy-Ruf, en soulignant que « la conscience de la personne reste un bastion inviolable, que nous devons respecter ».
Les trois aumôniers soulignent le risque de banalisation du suicide assisté. Et comme Sandro, Cathy Espy-Ruf s’interroge sur la pression sociale et une forme de négation de la dignité ontologique de toute vie humaine. Elle cite le philosophe Jacques Ricot pour qui, « Nul n’a le pouvoir de renoncer à sa dignité car elle ne dépend ni de l’idée que l’on se fait de soi-même, ni du regard posé par autrui.» ■ (Sba)
(Lire aussi le texte du Fr. Guy Muzy)
SUICIDE ASSISTÉ EN BREF
L’assistance au suicide consiste à fournir au patient la substance mortelle qu’il
ingérera lui-même.
En Suisse, des organisations telles qu’Exit qui fournissent une assistance au suicide ne sont pas punissables tant qu’aucun motif égoïste ne peut leur être reproché. (Art. 115 Code pénal).
L’Académie Suisse des Sciences Médicales stipule que l’assistance au suicide d’une personne capable de discernement est admissible si elle est en proie à une souffrance insupportable due à des symptômes de la maladie et/ou à des limitations fonctionnelles, que la gravité des souffrances est étayée, que d’autres alternatives ont échoué ou sont refusées. Au moins deux entretiens préalables sont demandés. ■