Messes publiques suspendues, rencontres en paroisse annulées… Comment vivre la foi au temps du coronavirus ( COVID-19) ? Nous vous donnons la parole avec une série de témoignages.
Rencontre avec Monsieur Nicolas Jeandin,
J’ai 61 ans, mon épouse en a 54 et nous avons 6 enfants de 31 à 21 ans. Nous sommes quatre à la maison avec une fille et un fils. Nous sommes grands-parents depuis le mois de novembre dernier. Je suis avocat et professeur à la faculté de droit, mon épouse fait des études à la faculté de théologie à Fribourg, elle a un Bachelor obtenu à Rome, en science religieuses. Nous habitons Meinier et allons parfois à la messe de Saint-François. Mon épouse est catéchiste et auxiliaire d’aumônerie aux HUG; elle donne des cours de religion et de philosophie.
Au départ, j’ai trouvé cela un peu brutal. L’annonce de l’évêque était assez froide, assez administrative, mais en même temps parfaitement compréhensible. Surtout que c’était la première vraie annonce avec ce coronavirus. Mais on a bien compris la nécessité de cette décision et on aperçoit désormais, avec le temps qui passe et l’épreuve que nous avons vécue, la beauté d’une communion spirituelle.
Du point de vue du vécu de la foi en famille, paradoxalement c’est positif. Mon épouse regarde tous les matins la messe du pape à 7h puis on en discute et on échange ensemble. Le moment riche fut la semaine sainte, on a regardé les célébrations à Saint-Pierre, sur grand écran, car nous avons un home cinéma à la maison. C’étaient de grands moments avec un côté impressionnant et dépouillé dont on n’a pas l’habitude. Les images des deux cérémonies : Chemin de Croix sur la place et la cérémonie avant les rameaux étaient magnifiques. Finalement, c’était superbe ce dépouillement.
J’ai également dû m’adapter sur le plan professionnel, comme notre Église à Genève a su le faire. Notre Eglise a su trouver une voie digitale tout en alimentant son site internet. De mon côté je donne mes cours par zoom. Mais je dois dire que c’est impressionnant ce que l’Eglise a fait comme chemin, son adaptabilité est assez incroyable. On a constaté pendant le confinement grâce au digital cette volonté ecclésiale de communiquer et d’être proche des fidèles. J’ai trouvé le déploiement de l’Eglise dans ces outils technologiques vraiment formidable et très adéquat.
Au départ il y a un manque présentiel, évidemment, un manque profond de ne pas pouvoir partager et recevoir l’Eucharistie, par exemple. Et on se demande comment ça va se passer. Mais étrangement, j’ai trouvé que le moment de la communion spirituelle est parfois un peu plus fort que celui qu’on fait machinalement. On regardait ça, avec mon épouse, à la télévision; on se concentrait paradoxalement parfois plus que dans une messe habituelle. On était captivé par quelque chose qui sort un peu du commun. Nous avons vécu ces temps assez intenses, assez rassembleurs et c’est ce qu’il faut retenir.
On dit, et ça en devient banal, que ce ne sera jamais comme avant, mais ce n’est pas faux. On se dit que ce n’est pas si mal ce digital, après tout. On va tous se repositionner par rapport à certaines habitudes, on voit les réseaux sociaux autrement, de façon plus positive, plus utile. Et ce n’est pas inintéressant. Notre rapport avec la nature évolue, notre rapport avec le sentiment de toute puissance se modifie. Par rapport à la paroisse, la messe est faite pour être vécue en présentiel, la communion avec les autres, ce sentiment d’appartenance à l’Eglise, à la communauté paroissiale reste important, comme les relations sociales. On a besoin de ressentir des choses, de voir le comportement corporel et les réactions des autres. C’est très fort dans le signe de paix par exemple. Aussi, ça m’arrive de me confesser, c’est vrai que je n’ai pas pu depuis la fermeture des églises. C’est comme le baptême, je vois ça difficilement par Zoom…
On était assez choqué par la mort de l’abbé Passera. Finalement, on apprend cette nouvelle et on ne peut aller lui dire au revoir lors une cérémonie. Là j’ai vraiment ressenti le vide, là on s’aperçoit de ce manque, car on ne peut dire au revoir. C’est douloureux. On a besoin de ces gestes au-delà du sacrement, un rite de vie, tout bêtement aller à l’adoration du saint sacrement. J’ai été frappée par la résilience que nous avons à tout âge, la capacité d’adaptabilité. Le Père Edmond à Meinier, s’est plié à l’exercice et il arrive à nous faire des messes en vidéo. Au sein de l’Église catholique, c’est une fois encore assez beau de voir cette faculté d’adaptation.
J’ai pensé à la vie des chrétiens dans les catacombes, ou l’appartenance à une communauté était forte parce qu’ils étaient confinés. Comme eux, à l’époque, dans une certaine mesure, nous sommes contraints de vivre notre foi de façon confinée et resserrée en ce moment. C’est une expérience nouvelle, à tous égards, ce coronavirus. On dit que notre Église vieillit, que l’on ne s’y intéresse plus, finalement on s’aperçoit qu’il y a un besoin et qu’elle a répondu présent. C’est ce que je retiens de cette expérience hors du commun.
SD&C, mai 2020
Image: FOI ET CODIV 19 – Fred de Noyelle / Godong