Confier les souvenirs d’une vie pour retracer sa propre histoire dans un livre est un acte de transmission qui donne un sens et une couleur à la fin de vie, explique Véronia Krähenbühl. Elle est « recueilleuse » de récits de vie, une activité qu’elle exerce à la lumière de sa foi, notamment auprès de personnes malades et âgées. « Se raconter pour laisser un héritage aux proches permet aux personnes d’être dans un projet de vie », témoigne la jeune femme, auteure de six publications, dont quatre récits de vie.
« Recueilleuse » de récits de vie, Véronia Krähenbühl se livre à son tour. Dans une interview, elle raconte son parcours pour dire sa passion de la rencontre, de l’écriture et la joie de découvrir par la narration la beauté de toute vie. Née à Paris il y a 35 ans, elle étudie les langues jusqu’à obtenir une licence en langue germanique, un diplôme de traduction et un diplôme universitaire pour enseigner le français. Elle voyage en Allemagne, Irlande, Pologne, s’engage dans différents projets sur la migration et le volontariat, revient brièvement en France, avant de s’établir à Genève.
Au fil des ans, elle s’est spécialisée dans l’enseignement du français aux étrangers, dans le métier de conteuse et enfin la rédaction de récits de vie.
« J’ai découvert la puissance et les fruits des récits de vie avec mon mari David. J’en suis tombée amoureuse le jour où il m’a confié combien la foi l’aidait à traverser sa maladie, un cancer au cerveau. Nous avons vécu une histoire d’amour d’un an et demi. Il est décédé en 2014, trois semaines après notre mariage. C’est lui qui m’avait demandé d’écrire l’histoire de foi extraordinaire que nous avions partagée, ce que j’ai fait après son décès. J’ai alors mesuré l’importance de cette démarche de témoignage pour moi, pour les proches, les amis, mais également pour des personnes qui ne nous connaissaient pas et qui ont pu cueillir dans le récit ce dont elles avaient besoin. J’ai publié le livre à mon compte, un éditeur travaille actuellement à la réédition », raconte Véronia, en indiquant un petit ouvrage posé sur la table. Le titre : « Que ta volonté soit fête ».
Dans les récits des personnes que je rencontre, il y a ce rapport à une mort qui n’est pas très loin. Je ne suis pas psychologue, mais ayant traversé la maladie et le deuil, je me sens prête à accompagner humainement ces personnes. J’écoute et je prête ma plume pour des projets de narration ouverts sur les autres. Ce qui me touche, c’est que les personnes malades ou âgées peuvent être mises dans un projet de vie par cette démarche. Le récit d’une existence est un véritable héritage à laisser aux proches et pour les générations d’après. Dans ma démarche, c’est une parole adressée.
Je rencontre les personnes chez elles. Le premier entretien permet de définir le projet personnel, la démarche, le cadre et le prix ! Lors des rencontres, la parole spontanée surgit, si besoin, je la guide par un canevas de questions. Souvent, les souvenirs arrivent de plus en plus nombreux. Après chaque rencontre, je présente un texte que la personne peut modifier. Pendant tout le processus, elle reste maître de son récit, de ce qu’elle veut dire ou omettre. Je suis au service de la personne qui se raconte.
Il faut compter environ dix rencontres pour produire un recueil de récits de vie. Dans un tel projet, chacun doit se sentir libre à chaque instant de continuer ou d’arrêter. La relecture de souvenirs pouvant être plus ou moins bouleversante. Il y a des moments difficiles, de la tristesse, des émotions qui surgissent, des interrogations sur soi-même, la peur de disparaître, qu’il faut accueillir.
Le récit de vie est une démarche de mémoire, il permet de donner forme aux éléments épars d’une vie. Ce n’est pas un portrait objectif, mais une narration personnelle. Je transcris le récit tel qu’il m’est raconté. Les souvenirs peuvent être exacts ou transformés. Ce qui m’intéresse est comment la personne se raconte, le portrait qu’elle fait d’elle-même et de ce qu’elle a vécu. Dans mon travail, je ne vais pas chercher à vérifier les faits.
Le témoignage peut prendre également la forme de lettres. Ma démarche s’adresse également à des personnes endeuillées qui chercheraient à effectuer un travail d’écriture sur l’être part. Depuis peu je m’intéresse aussi à la création de spectacles contés de récits de vie.
Je suis une amoureuse de la langue française. Écrire des textes, jouer avec les mots est une passion. Avant « Que ta volonté soit fête », j’avais rédigé un premier livre en recueillant les mémoires de mon grand-père. Il racontait toujours des histoires pour partager ses souvenirs. En famille on se disait qu’il fallait les écrire.
Quand j’écoute les personnes, je vois l’œuvre de Dieu dans nos existences. Je suis émerveillée par la beauté de chaque vie et par la richesse des personnes. Au fur et à mesure des rencontres, les yeux se mettent à briller, la vie surgit, un parcours de vie prend forme. Je ne fais pas de prosélytisme, mais la foi est très présente dans mon travail.
Je suis de spiritualité ignacienne. La démarche des récits de vie rejoint la relecture de nos parcours enseignée par Ignace de Loyola pour découvrir comment Dieu agit dans la vie de chacun.
J’ai découvert les Communautés de vie chrétiennes (CVX) en 2015. À Genève nous sommes actuellement un groupe de six personnes et nous nous retrouvons une fois par mois pour vivre ensemble un moment de partage, à travers les exercices de St Ignace. C’est un compagnonnage. Mois après mois, il permet de percevoir le fil rouge de l’action de Dieu dans nos vies, comment il nous travaille. Dans les groupes, il y a un accompagnateur formé, mais notre accompagnatrice vient de partir et nous sommes à la recherche d’une personne formée. Et pourquoi pas de nouveaux membres !
Propos recueillis par Sba (Courrier pastoral octobre 2019)
Pour aller plus loin : https://www.veronia-k.com/
Véronia Krähenbüh est bénévole de l’Église catholique romaine.
Elle est notamment « invitante » aux HUG (Hôpitaux Universitaires de Genève).
« Le dimanche matin je vais visiter les personnes malades à l’Hôpital cantonal. Je suis « invitante ». Cela veut dire que je passe dans les chambres pour informer les patients des célébrations, les inviter à y participer et les accompagner dans la salle où elles se déroulent.
À l’hôpital, avec mon mari, nous attendions les invitants avec impatience et je sais à quel point cette invitation peut être essentielle dans ce lieu. Les patients ne savent pas toujours qu’il y a la messe et même certains qui ne désirent pas venir nous disent « merci pour ce que vous faites ».
dans le cadre de cet engagement que l’aumônier de l’hôpital, l’abbé Giovanni Fognini, m’a proposé de suivre une formation pour apporter la communion aux personnes hospitalisées. J’ai accepté et j’ai été mandatée par l’évêque pour ce service. C’est extraordinaire de porter la communion et de prier avec les personnes malades. Il y a une autre profondeur, une force essentielle. C’est un cadeau. »
Pour en savoir plus sur les activités de l »aumônerie catholique à l’hôpital