Parfois Noël, comme d’autres fêtes contemporaines, est aussi l’occasion de se laisser aller à la surabondance, synonyme d’excès, de gaspillage et de pollution à travers nos menus de fête et nos achats. Nous le savons, la richesse de cette fête n’est pas dans la multiplication des cadeaux à déballer. mais dans la foi en la naissance d’un enfant, venu nous rejoindre pour nous sauver. Dans cet article, nous vous invitons à une réflexion sur les enjeux écologiques de la frénésie commerciale qui accompagne souvent les fêtes de fin d’année ainsi qu’à une exploration des
pistes pour faire de ce temps une occasion de joie partagée et de « conversion écologique », comme le souhaite notre pape François dans Laudato si’.
Nous avons rencontré Frédéric Métral. Il est chargé de projet de l’Eglise catholique romaine à Genève pour la plateforme EcoEglise, qui aide les paroisses à s’engager pour la sauvegarde de la création.
Frédéric Métral: La fête est un temps ritualisé durant lequel nous nous organisons pour sortir du quotidien et entrer dans l’extra-ordinaire. C’est un moment de partage de valeurs et d’appartenance. Toutes les fêtes, profanes ou religieuses, réunissent les participants dans un élan de joie, de liberté, de plaisir, de courage, de mobilisation à l’action. La tradition du Noël laïc trouve évidemment son origine dans la tradition religieuse. Elle a cependant agrégé au fil du temps des symboles nouveaux (le sapin, le père Noël et les cadeaux…) qui ont pris une place prépondérante. Le Noël commercial nous emmène dans un tourbillon de lumière, de beauté, de luxe, de nouveautés, d’originalité, d’insouciance et d’abondance. Nous y consacrons une énergie impressionnante, dès le mois de novembre. Les chrétiens sont aujourd’hui engagés dans ces deux types de Noëls bien différents. Longtemps, nous avons cru que nous pouvions faire les deux en même temps, célébrer la fête de l’abondance et le temps de l’Avent qui nous incite à plus de profondeur spirituelle.
Mais l’accélération du rythme de la consommation et les « lumières de la ville » nous étourdissent et nous risquons de perdre le sens premier et ne plus avoir la disponibilité intérieure pour les réjouissances profondes auxquelles nous sommes invités. Il nous faut alors découvrir comment nous souhaitons être pleinement acteurs de ces moments, en prenant conscience de notre responsabilité et des impacts de nos choix afin de les orienter vers ce qui est important pour nous, individuellement et collectivement. Peut-être avons-nous peur de perdre la magie de la fête si nous osons remettre en cause le « toujours plus » ? Il serait plus simple de rester dans l’insouciance, de faire mine de rien ; mais nous ne sommes pas dupes. Nous savons que notre société de consommation détruit la planète et le « grand bazar » de Noël peut en être le symbole.
La sobriété n’est pas l’austérité ! Je ne pense pas que notre choix soit entre la radicalité et la compromission. Il existe une voie qui demande de trouver les repères qui vont nous aider à cheminer vers un modèle réaliste et accessible. Attention : tout compromis demande de la vigilance et de l’honnêteté pour ne pas se donner bonne conscience sans vraiment vouloir changer. Il va falloir poser un acte difficile : modifier nos représentations de la fête, la « désenchanter » en quelque sorte dans un processus paradoxalement positif, qui va nous mener vers un « réenchantement ». Il nous faut aussi reconnaître que notre société privilégie l’avoir et que nous rencontrons des difficultés à exprimer nos élans du coeur sans les attacher à des objets, à les matérialiser. La multiplication des cadeaux est une dimension sur laquelle nous pouvons agir.
Il n’est pas nécessaire de faire un état chiffré de la situation pour démontrer que la fête de Noël est devenue un temps d’hyperconsommation, de déballage d’objets et de projets consommateurs d’énergie et producteurs de déchets de façon à mon sens irraisonnée. Cependant, dans bien de cas, nos comportements font mine de ne pas le voir ! Devons-nous attendre que des problèmes de fret maritime limitent l’arrivée des cadeaux et gadgets venus d’Asie pour sortir de notre consommation addictive ? Une fois ces écueils dépassés, nous pourrons reconnaître les beautés de Noël et les renforcer pour retrouver la magie d’un temps durant lequel nous cherchons à créer du beau, à partager du plaisir et de la fraternité, à créer un élan commun.
L’exercice nous amènera à changer notre manière de faire la fête afin de trouver de nouvelles expressions à ce moment magique de la fin décembre. Et puis n’oublions pas de nourrir le sens de la fête. Si l’Église a ritualisé cet « anniversaire du Christ », c’est pour que nous prenions un temps à la fois individuel et collectif pour renforcer la conscience du mystère qu’il nous est donné de vivre et de partager. Il n’est pas toujours simple de dégager du temps, de l’espace, de la disponibilité pour « faire silence » et se repositionner dans cet émerveillement.
Le temps de l’Avent peut être un temps privilégié pour se remettre à l’écoute. On peut choisir de courir les magasins ou de chercher le silence d’une église. C’est un choix très concret !
Noël est donc une belle occasion de réorienter notre regard sur le sens de notre vie, sur le partage et sur notre confiance en la Vie. Notre changement de regard peut participer à un élan et porter des évolutions que nous n’imaginons pas. Noël est le pari de la Vie face à l’avenir. Et c’est là que revient la magie de Noël, la vraie : le message chrétien du lien avec ce Dieu mystérieux à la fois au coeur de la création, et avec lequel nous pouvons être en relation. Dieu nous rejoint dans notre incarnation, avec nos enjeux, nos défis, mais aussi dans nos temps d’émerveillement et de fête.
un noël pour la création ? TROIS PISTES POUR VOUS AIDER
Trois pistes peuvent nous aider à modifier notre rapport à la fête de Noël : la sobriété heureuse, la compensation et la responsabilité, explique Frédéric Métral.
La sobriété heureuse oriente le regard sur le gain plus que sur la perte. Certains d’entre nous peuvent fournir des efforts importants, par exemple dans l’espoir de perdre du poids. Je pense que nous sommes tous capables de fournir des efforts similaires pour nous alléger de nos attachements aux objets ou à la nourriture. Cela peut demander de l’imagination : et si nous ne faisions globalement plus qu’un cadeau par personne ? Et si nous nous offrions un temps de jeu, de réflexion, de partage de nos vies, une invitation à un spectacle, à une excursion, plutôt que des objets ? Et si nous arrêtions de noyer les enfants sous des amas de jouets ; si nous cultivions avec eux l’expression des sentiments, du beau, de la culture, de l’action, de la spiritualité ? Si l’on arrive à ce changement de regard, la question du trop d’objets devient accessoire et le sentiment du partage se développe.
La compensation n’a pas pour vocation de remplacer la sobriété. Ce serait une supercherie pour éviter le changement, ce qui n’est pas acceptable dans une démarche d’authenticité. Mais un temps de fête est un moment spécial et il est normal qu’il implique des moyens spéciaux. L’objectif est de définir ce que nous allons faire en plus pour vivre ce temps de fête et les moyens que cela va demander. Ensuite la démarche consiste à définir comment compenser ces moyens particuliers, en répercutant sur un autre moment de l’année la sobriété nécessaire à rééquilibrer ce surplus temporaire.
La fête de Noël est un temps collectif. Toute la société est engagée ou impactée dans ces festivités de fin d’année. Nous sommes invités, voire conditionnés à y participer dans ses excès et ses beautés. Il est difficile de relier la jolie déco dans la vitrine au réchauffement climatique, de relier mon envie du moment, légitime et pleine de bonnes intentions pour mes hôtes, et l’excès de production et de consommation d’énergie. Il nous incombe de faire ce lien complexe entre un désir immédiat et un bénéfice à long terme. Il n’y a pas une recette toute faite. A chacun cependant de trouver et d’affirmer sa liberté dans ce contexte.
Entretien paru dans la revue REGARD N°10, décembre 2021
Crédit image : Godong