Intelligence artificielle et éthique. Le mercredi 6 novembre a eu lieu au Campus Biotech, le 3e sommet de l’Intelligence Artificielle de Genève (AIGS), « Du corps et de l’âme ».
Après deux premières éditions consacrées à l’intelligence artificielle (AI) dans toutes ses composantes scientifiques, une dose « d’éthique » et un soupçon « d’âme » furent introduits cette année par la volonté de son organisateur, l’avocat Nicolas Capt.
Le Campus Biotech constitue le lieu parfait pour accueillir un colloque sur l’Intelligence artificielle. Sa carapace de verre, organisée autour d’un centre multifonction où règnent technologie et accès contrôlés, diffuse une lumière naturelle dans des espaces immenses.
L’organisation de cette journée est bien huilée et se déroule au pas de charge. Après une première partie axée sur des exemples d’avancées en matière d’AI, une deuxième tente d’explorer les relations entre l’AI et … l’âme.
Quelles sont en effets les limites du procédé et comment éviter les excès, les dérives, les abus ? Comment « l’éthique » peut-elle les prévenir, tel un garde-fou indispensable selon les uns, abusifs et antiprogressiste selon les autres ?
Après les discours de bienvenue, dont celui du Conseiller d’État, Mauro Poggia, de nombreux spécialistes (médecins, chercheurs, biologistes, informaticiens…), souvent issus de l’EPFL ou encore du CNRS, se sont succédé pour présenter le fruit de leur recherche.
Je retiendrai notamment l’intervention du Pr Grégoire Courtine de l’EPFL. Son objectif: permettre aux paraplégiques de remarcher grâce à la stimulation électrique de la moelle épinière. Ses progrès sont édifiants. Les démonstrations réellement impressionnantes. C’est un véritable espoir qui est ainsi proposé à ceux qui n’ont plus l’usage de leurs membres inférieurs.
D’autres présentations , connaissent des développements très prometteurs. Par exemple, les systèmes de rééducation post-AVC (Frédéric Briguet, Mindmaze). Ou encore le développement de supports numériques liés à la santé (Dr Nicolas Bourdillon, be.care ). Grâce à l’AI, ces derniers peuvent à la fois guider le patient, à partir d’une application smartphone et avertir le spécialiste. Les objets connectés ayant envahi notre quotidien, l’AI peut, dans ce domaine, jouer un rôle important comme celui du dépistage de pathologies, et ce, à faible coût.
Nathanaël Jarassé du CNRS travaille quant à lui sur l’amélioration des relations « homme/robot ». La robotique de réparation et d’assistance présente, selon lui, un bilan mitigé. Les technologies anciennes, même si elles sont améliorées au fil du temps, comme les exosquelettes, présentent des charges neurologiques trop lourdes et des périodes d’entrainement et d’assimilation très longues qui limitent leur potentiel. Il ajoute que cela pose également des questions liées à la dignité humaine, l’inviolabilité et l’intégrité du corps.
Les principes de précaution, les spécificités de la finalité, le respect de la diversité, la discrimination, l’équité et le consentement libre et éclairé des patients, sans oublier le cadre juridique d’application des techniques sont autant de questions qui se posent. Elles justifient une approche éthique des problématiques de guérison par le biais de l’AI. En effet, les coûts de ces technologies sont importants. Faut-il donc être caucasien, né en Occident et riche pour en bénéficier ? La maintenance est également un sujet qui risque de « coûter » cher.
Toutes ces interventions à grand renfort de films, d’animation 3D ou de présentations power-point furent suivies de tables rondes. Avant de se tourner vers le public à qui l’on a donné la parole.
Après une intervention brillante de Grégoire Sommer, spécialiste en rhétorique (UNIGE et Paris Sorbonne) qui nous explique que ce sont les « rhétoriciens qui ont permis de gagner le marché de la religion dans le bassin méditerranéen, il y 2000 ans », ce fut au tour de la table ronde « Transcendance, singularité & Dieu machine », de clore la journée.
Les intervenants: Sadek Beloucif, professeur et chef anesthésiste-réanimation à Paris, Odon Vallet, historien des religions auteur du livre « L’intelligence artificielle, nouveau Dieu ou nouveau diable ? », Gérard Haddad, médecin et psychiatre qui a produit plusieurs essais sur les rapports entre religions et psychanalyse, Thomas Schlag, professeur à l’université de Zurich qui s’intéresse aux liens entre religions et environnement numérique, sans oublier le père Pascal-André Dumont de la communauté de Saint-Martin en France qui a créé un fonds d’investissement éthique.
Il est notamment observé que « l’AI n’est malheureusement pas entre les mains de médecins, mais entre celles de gens peu recommandables. » L’homme étant le prolongement du dessin divin, comment y intégrer alors l’Intelligence Artificielle ? Quelle place a la parole ? Comment faire cohabiter la foi et la raison ? Odon Vallet rappelle que le Christ a dit à un paralysé : « Lève-toi et marche. » Il rend ainsi à cet homme l’usage de ses jambes. Cet épisode annonce, en quelques sortes, l’AI qui envahit notre monde du 21e siècle.
L’AI touche à l’ego alors que le spirituel concerne l’âme. Que devient la substance de la foi et de la religion dans la dilution de l’internet ? Car, en effet, réduire l’humain à des algorithmes et des bases de données pour le « guérir » se situe bien loin de la transcendance et de la spiritualité. Il est rappelé que l’homme doit demeurer humble devant la toute puissance de Dieu et que, même si la question est posée: « le spirituel ne sera jamais vécu et expérimenté par l’intermédiaire de l’AI. »
La dimension métaphysique de notre existence et notre différence dans la création, par l’âme humaine, ne pourront jamais être remplacées par une machine, un logiciel, un robot, des algorithmes, tous aussi performants qu’ils soient.
Est-ce que le pinceau que tient Michel-Ange n’est pas en quelque sorte le prolongement « transhumanisé » de son corps pour accéder à la créativité ? Cette question est balayée. Ce rejet constitue, en quelque sorte, une des rares réponses à des échanges qui en auront posé beaucoup sans apporter autant de réponses.
Ce sommet sur l’AI en appelle d’autres puisqu’il est annuel. Il est souhaitable d’espérer que les sujets liés à l’éthique accompagneront systématiquement le thème général. En effet, s’il y a un domaine incontournable concernant l’AI, c’est bien celui-là.
Geoffroy de Clavière, novembre 2019