Afin de fournir des repères éthiques concrets en matière d’économie, le Vatican a récemment publié un plaidoyer dont Paul H. Dembinski s’est fait l’écho lors d’une récente conférence à la Paroisse Saint-Paul. Une croissance durable et éthique est-elle envisageable ou utopique ?
Au mois de mai dernier, le Vatican a publié un plaidoyer pour l’humanisation de l’économie. Sobrement intitulé « Oeconomicae et pecuniariae quaestiones » (Questions économiques et financières), le texte n’est pourtant pas moins radical selon Paul H. Dembinski, directeur de l’Observatoire de la finance à Genève. Ce texte a pour ambition de fournir des repères éthiques concrets en matière de régulation de marché. Il en appelle aux entrepreneurs, afin qu’ils initient un retour vers une finance plus axée sur le bien commun et la responsabilité sociale. Pour ce faire, une amélioration significative de la transparence dans les affaires bancaires et monétaires ou encore l’instauration de comités d’éthique dans les conseils d’administration est nécessaire. Le texte met aussi en exergue l’exigence d’une formation éthique dans les écoles de commerce. Un programme exigeant, mais nécessaire aux yeux du professeur.
« La finance a pêché par manque d’éthique », explique le conférencier. « Dès le début des années 70, elle a été envisagée comme la solution capable de résoudre tous les problèmes », ajoute-t-il. Pourtant, cette « financiarisation » du monde basée sur le rendement, n’a eu de cesse d’occulter la dimension qualitative ou éthique pour ne porter que sur le plan purement quantitatif. L’économiste avance que sans changement radical dans la manière de comprendre l’économie et la finance, « notre société va droit dans le mur ». A ce tableau brossé par le professeur Dembinski à l’assemblée réunie à la Paroisse Saint-Paul à Genève se pose la question des solutions qui peuvent être avancées pour ammorcer un réel changement. Outre la responsabilité des institutions financières mis en exergue par le plaidoyer du Vatican, cet appel à agir est adressé avant tout à chacun rappelle l’économiste, « ce texte est une manière de dire que le besoin d’intégrité doit se retrouver dans toutes les couches de la société ». Cette dernière n’a d’ailleurs pas attendu l’appel du Vatican pour faire bouger les choses.
Un des signes du changement est l’attribution du Prix Nobel d’économie 2018 à William Nordhaus et Paul Romer. Ces deux économistes ont postulé que la performance économique peut réellement s’accompagner d’un impact positif sur le plan social et/ou environnemental. Ce qu’atteste la croissance d’un des segments les plus prometteurs de la gestion responsable, l’impact investing, qui accorde autant d’importance à l’impact social et environnemental de la gestion financière qu’à celle de la performance. D’ailleurs, l’offre de ce genre de produits fianciers est en hausse constante et répond à une importante demande du côté de la génération des millenials. Ces derniers ne considèrent plus que la création de richesse est uniquement financière. Bien au contraire, ils désirent que leurs investissements reflètent leurs valeurs personnelles, ce que confirme le professeur Dembinski. Pas d’excès d’optimisme non plus, car même si les valeurs éthiques servent à faire avancer la cause de l’impact investing, le profit reste encore au centre de la manœuvre. « Le texte du Vatican interpelle le chrétien dans ce qu’il fait au niveau financier », affirme le professeur d’économie. De quoi, peut-être, nudger* les chrétiens afin de ne pas désinvestir le monde de la finance.
Myriam Bettens
*Nudge : ou « coup de coude » en français, est une théorie économico-comportementale mise en lumière par Richard Thaler en 2008. Cette technique vise à inciter des personnes ou une population ciblée à changer leurs comportements ou à faire certains choix grâce à des suggestions indirectes. |