Une église n’est pas la maison de Dieu, mais la maison du peuple, dans laquelle Dieu se rend présent. Telle est la conviction de l’architecte Jean-Marie Duthilleul. Après s’être intéressé aux gares, il s’est consacré à l’aménagement d’églises depuis 1997. Il a ainsi notamment collaboré à la conception du lieu de culte de l’église du Sacré-Cœur à Genève (ndlr). L’espace liturgique doit être le lieu de la rencontre entre Dieu et l’homme, affirme-t-il dans un article publié par cath.ch.
par Maurice Page, cath.ch
Présent pour les Journées d’études 2024 de l’Institut de sciences liturgiques de l’Université de Fribourg, Jean-Marie Duthilleul a thématisé, le 7 juin 2024, la question de l’aménagement des églises.
Pour cela, il est bon de remonter à la source. Lorsque l’empereur Constantin a officiellement autorisé le culte chrétien au début du IVe siècle, les chrétiens n’ont pas construit des temples pour abriter la divinité, mais des basiliques pour réunir l’assemblée des croyants. Ils suivaient les recommandations de l’apôtre Paul aux Corinthiens: «Nous sommes des collaborateurs de Dieu, et vous êtes un champ que Dieu cultive, une maison que Dieu construit. Selon la grâce que Dieu m’a donnée, moi, comme un bon architecte, j’ai posé la pierre de fondation. Un autre construit dessus.» (1Cor.3.9)
Ce n’est que beaucoup plus tard, en particulier avec le Concile de Trente au XVIe siècle, que les églises sont devenues des maisons de Dieu, orientées vers le tabernacle contenant le Saint-Sacrement.
Les édifices chrétiens reprennent donc non pas le plan des temples antiques, mais celui des basiliques civiles romaines qui sont à la fois de lieux d’audiences judiciaires, des bourses de commerce et des espaces de promenade. Ce plan en longueur avec une nef principale et une abside va de fait prédominer jusque dans les années 1930. Il détermine de façon essentielle la structure de l’assemblée avec des fidèles réunis dans la nef face au clergé rassemblé dans le sanctuaire.
Dans son environnement, une église occupe des fonction diverses, explique Jean-Marie Duthilleul. Elle révèle d’abord la fraternité entre les humains, mêmes s’ils ne sont pas croyants. Cette fraternité s’exprime en particulier face au tragique de la mort. À l’église, la présence des vivants soutient les endeuillés. Face à la fermeture d’une église, la première question est souvent: «Où ira-t-on pour accompagner nos morts?».
L’église a évidemment une composante culturelle qui correspond à une fraternité vécue dans le temps. Ses bâtisseurs ont souvent fait une œuvre ›déraisonnable’ dont nous héritons. Elle est chargée d’une histoire qui est la sédimentation des événements de la vie des gens qui nous ont précédés.
L’église est un lieu de paix au milieu du monde. Elle matérialise la parole du Christ après sa résurrection: «La paix soit avec vous». Cette parole a animé les bâtisseurs à toutes les époques et elle se réfère aussi à la Jérusalem céleste évoquée dans l’Apocalypse et à laquelle les chrétiens aspirent. C’est en ce sens que, de tout temps, les meurtres dans des églises sont restés extrêmement choquants.
L’église est le lieu d’un rendez-vous d’amour pour les hommes et les femmes de ce temps. Que font les gens qui viennent à l’église? Prier, se reconstruire, côtoyer les saints, rencontrer des frères et soeurs et célébrer l’Eucharistie comme un grand remerciement. L’église est l’expression visible de l’univers invisible proclamé dans la liturgie.
Jean-Marie Duthilleul ose l’analogie avec le récit des disciples d’Emmaüs (Lc 24, 13-35). Pour lui, une église est comme l’auberge d’Emmaüs. Au départ les disciples, avec qui Jésus chemine, ne sont pas vraiment présents, ni en paix. Jésus les réveille par ses paroles et en les mettant à table pour rompre le pain. Ensuite il peut disparaître, puisque les disciples ont pris conscience de sa présence ›jusqu’à la fin de temps’. Ainsi chaque église a pour vocation d’amener chacun à reconnaître la présence de Dieu.
Fort de ces principes fondamentaux, Jean-Marie Duthilleul peut alors imaginer l’aménagement des espaces. «Un jour le cardinal Lustiger, archevêque de Paris, me convoque: ‘Cette église est un cinéma’, dit-il en se référant à la disposition des bancs en rangées successives. ‘Faites moi une église!’»
L’aménagement doit impliquer tout l’espace. A proprement parler, il n’y pas de ‘sanctuaire’ isolé du reste et inaccessible aux laïcs, car tout l’espace est ‘sacré’ au service de la présence invisible du Christ parmi son peuple, qui vient se nourrir de la Parole et du Pain.
Cette vision ne correspond pas forcément à la perception commune des catholiques, admet Jean-Marie Duthilleul. C’est pourquoi il faut à nouveau ‘transformer le temple de Dieu en maison du peuple’. Ce n’est qu’un retour aux sources pour organiser les rendez-vous de la communauté.
Pour l’architecte, cette démarche ne peut être que synodale. L’aménagement d’une église ne doit pas dépendre du seul goût de l’architecte ou du curé. Il faudra une longue maturation, parfois de plusieurs années, pour arriver à une ‘évidence partagée’.
Après avoir transformé la chapelle des sœurs de la Pelouse-sur-Bex, Jean-Marie Duthilleul a été sollicité par les gens du village qui voulaient réaménager leur petite église de la fin du XIXe siècle. L’idée, discutée avec les fidèles, a été de revisiter la disposition ‘basilicale’ pour placer les bancs face à face, ce qui crée un axe vers l’autel installé dans l’abside. «Le message à transmettre est ‘Voyez comme ils s’aiment’ et non pas ‘Regardez le Bon Dieu, là-bas au fond’.
Deux autres récents projets romands, l’église abbatiale d’Hauterive et l’église du Sacré-cœur à Genève se sont également basés sur ces principes. (cath.ch/mp)
NOUVELLE COLLECTION: FONS ET CULMEN
Les journées d’études de l’Institut de Sciences liturgiques de l’Université de Fribourg, réunies sous le thème «des pierres qui disent la foi», ont rassemblé, les 7 et 8 juin 2024, un large panel d’experts de divers pays européens.
Elles ont été aussi l’occasion d’inaugurer la collection Fons et culmen (sources et sommet) éditée par Academic Press Fribourg et placée sous la direction du professeur Michel Steinmetz. La maison d’édition fribourgeoise abandonnée par le groupe Saint-Paul en 2017 a connu une renaissance en 2021, sous l’égide du groupe groupe Chiron Media.
La nouvelle collection propose pour l’heure un catalogue de six titres avec un volume d’hommages au professeur Martin Klöckener, deux volumes d’actes des journées d’études 2023 sur la nouvelle traduction francophone du Missel romain, un volume de Jean-Claude Reichert sur l’usage liturgique des écritures et un volume à venir sur le colloque 2024. MP
© Centre catholique des médias Cath-Info, 13.06.2024